L’IA peut-elle faire de la science (au point on en est …) ?

A force d’imaginer l’IA* capable de tout faire, il fallait bien qu’on se pose un jour la question de savoir si cette technologie pouvait aussi faire de la science. C’est même la très sérieuse Académie nationale des sciences des Etats-Unis (NAS) qui s’interroge, à l’issue d’un séminaire dont elle a publié un compte-rendu. Charles Cuveliez et Jean-Charles Quisquater nous expliquent exactement tout ce qu’il ne faut pas faire ! Ikram Chraibi-Kaadoud et Thierry Viéville.

(*) L’expression IA recouvre un ensemble de concepts, d’algorithmes, de systèmes parfois très différents les uns des autres. Dans cet article, nous utilisons cette abréviation simplificatrice pour alléger la lecture.

© domaine public

Une IA qui voudrait faire de la science, devrait posséder certaines qualités d’un scientifique comme la créativité, la curiosité, et la compréhension au sens humain du terme. La science, c’est identifier des causes (qui expliquent les prédictions), c’est se débrouiller avec des données incomplètes, de taille trop petite, c’est faire des choix, tout ce que l’IA ne peut être programmé à faire. C’est se rendre compte des biais dans les données, alors que certains biais sont amplifiés par l’IA. Par contre, l’IA peut détecter des anomalies ou trouver des structures ou des motifs dans de très grands volumes de données, ce qui peut mener le scientifique sur des indices qu’il ne trouverait pas autrement.

Si l’IA peut contribuer à la science, c’est sans doute en automatisant et menant des expériences à la place du scientifique, plus rapidement et donc en plus grand nombre, qu’un humain ne pourrait le faire. Mais tout scientifique expérimentateur sait combien il peut être confronté à des erreurs de mesures ou de calibration. Il faut aussi pouvoir répondre en temps réel aux variations des conditions expérimentales. Un scientifique est formé pour cela. Un système d’IA répondra à des anomalies des appareils de mesure mais dans la mesure de l’apprentissage qu’il a reçu. Dans un récent article ambitieusement nommé: “The AI Scientist: Towards Fully Automated Open-Ended Scientific Discovery” (Sept 2024), leurs auteurs ont proposé un modèle qui automatise le travail d’un chercheur depuis la confrontation d’une idée à la littérature existante (est-elle nouvmaitriseelle) jusqu’à l’écriture du papier, sans doute impressionnant mais où le coup de génie a-t-il sa place dans cette production scientifique aseptisée ?

IA générative

Un exemple d’image générée par IA ©VulcanSphere – Generated in HuggingFace Space with Stable Diffusion 3.5, via wikipedia

Que peut apporter spécifiquement l’IA générative, et en son sein, les modèles LLM ? Ils sont entraînés et emmagasinent des quantités gigantesques de données de manière agnostique mais ne savent pas faire d’inférence, une autre caractéristique de la science en marche. On a l’impression que l’IA, générative ou non, a une capacité d’inférence : si on lui montre une photo d’un bus qu’elle n’a jamais vu auparavant, pour autant qu’elle ait été entraîné, elle reconnaîtra en effet qu’il s’agit d’un bus. A-t-elle pour autant une compréhension de ce qu’est un bus ? Non car un peu de bruit sur l’image lui fera rater la reconnaissance, contrairement à un humain ! En fait, il ne s’agit pas d’inférence, mais de reconnaissance.

Sans avoir de capacité de raisonnement, l’IA générative est un générateur d’idées plausibles, quitte pour le scientifique à faire le tri entre toutes les idées plausibles et celles peut-être vraies (à lui de le prouver !). L’IA générative peut étudier de large corpus de papiers scientifiques, trouver le papier qui contredit tous les autres et qui a été oublié et est peut-être l’avancée décisive que le scientifique devra déceler. Elle peut aussi résumer ce qui permettra au chercheur de gagner du temps. L’IA générative peut également générer du code informatique qui aide le scientifique. On a même évoqué l’idée de l’IA qui puisse générer des données expérimentales synthétiques, ce qui semble un peu fou mais très tentant lorsque les sujets sont des être humains. Que ne préférerait-on pas une IA générative répondre comme un humain pour des expériences en sciences sociales, sauf que c’est un perroquet stochastique qui vous répondra (Can AI Replace Human Research Participants? These Scientists See Risks, Scientific American, March 2024)

Alors, oui, vu ainsi, l’IA est un assistant pour le scientifique. Les IA n’ont pas la capacité de savoir si leurs réponses sont correctes ou non. Le scientifique oui.

IA et religion : générée avec canvas et ré-éditée manuellement © CC-BY

Malheureusement, la foi dans l’IA peut amener les chercheurs à penser de manière moins critique et à peut-être rater des options qu’ils auraient pourtant trouvées sans IA. Il y a un problème de maîtrise de l’IA. Pour faire progresser l’utilisation de l’IA vers la science, il faudrait d’abord qu’elle ne soit plus l’apanage des seuls experts en IA mais qu’elle soit basée sur une étroite collaboration avec les scientifiques du domaine

Introduire l’utilisation de l’IA dans la science présente aussi un risque sociétal : une perte de confiance dans la science induite par le côté boite noire de l’IA.

Il faut donc bel et bien distinguer l’IA qui ferait de la science de manière autonome (elle n’existe pas) ou celle qui aide le scientifique à en faire de manière plus efficace.

Et d’ailleurs, l’IA a déjà contribué, de cette manière-là, à des avancées dans la science dans de nombreuses disciplines comme la recherche sur des matériaux, la chimie, le climat, la biologie ou la cosmologie.

Au final restera la quadrature du cercle : comment une IA peut expliquer son raisonnement pour permettre au scientifique de conseiller son IA à l’assister au mieux.

Jean-Jacques Quisquater (Ecole Polytechnique de Louvain, Université de Louvain et MIT) & Charles Cuvelliez (Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles)

Pour en savoir plus: AI for Scientific Discovery, Proceedings of a Workshop (2024), US National Academies, Medecine, Sciences, Engineering

 

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