Michel LEDUC a participé à la création d’une des premiers ordinateurs personnels en France. En plus des foyers, cet ordinateur a aussi pénétré les écoles ce qui fait que ce petit TO7 est un peu connu. Michel nous narre cette histoire à l’occasion de la sortie d’un livre sur cette aventure. Pierre Paradinas et Benjamin Ninassi.
Binaire : Comment es tu entré chez Thomson dans les années 1970 ?
Michel LEDUC : Diplômé de l’ESEO en 1973, je recherche du travail à la fin de mon service militaire pendant l’été 1974. Après CV et lettres de motivations, je passe un entretien à Paris pour un poste à Thomson Moulins. Ce fut, un entretien original avec une visite du LCR de Corbeville (le laboratoire de recherche du groupe Thomson) où je suis ébloui par la démonstration d’une maquette de vidéodisque et je suis séduit par l’équipe de chercheurs à l’origine de cette merveilleuse lampe d’Aladin qui permettait d’obtenir une image vidéo à partir d’un bout de plastique avec des milliards de micro-cuvettes ! Ce vidéodisque était la version Thomson du disque optique qui a vu le jour dans le grand public sous le nom de Laservision porté par l’alliance Sony Philips. La version de Thomson portait sur un disque transparent et souple alors que Philips défendait une version réflective sur un disque d’1mm d’épaisseur . L’absence de protection des micro cuvettes du disque Thomson a causé sa perte ainsi que la stratégie de Thomson mais le système de lecture étant similaire, c’est avec les brevets que Thomson a gagné beaucoup d’argent sur tous les lecteurs de CD et de DVD vendus dans le monde. Ma mission était de récupérer le savoir-faire de l’équipe parisienne et de transformer leur maquette en un produit grand public pour la partie électronique. L’arrêt du projet de vidéodisque grand public m’amènera de manière fortuite à la création du TO7.
Binaire: Thomson à l’époque, c’est quelle entreprise ?
ML : Thomson-Houston est déjà un grand groupe alliant électronique grand public (radio, électrophone, machine à laver, réfrigérateurs…), électronique professionnelle et militaire (Thomson CSF). Le LCR où naîtra le vidéodisque est le laboratoire de recherches de l’ensemble du groupe. La division grand public a de nombreuses usines en France : Angers et Saint Pierre Montlimart pour la télévision, Moulins pour l’audio, la Roche sur Yon (machine à laver le linge) et bien d’autres. Le groupe comprend plus de 40 000 personnes à l’époque et détient même une majorité des parts de CII-Honeywell. La situation évoluera avec la nationalisation du groupe en 1982.
Binaire: Peux tu nous décrire le paysage de la micro informatique en France à cette époque ?
ML : Quand on me demande en 1979 de choisir le micro-ordinateur que le groupe va revendre, je m’adresse aux fabricants américains car il n’existe pas de marché en France mais on commence à entendre parler d’Apple, de Commodore, d’Atari… Les dirigeants de Thomson et les équipes marketing ont entendu parler du phénomène qui se développe aux US avec l’arrivée de l’ordinateur individuel dans les foyers américains. L‘objectif principal était de suivre ce qui se passait aux Etats-Unis et d’être présent sur ce marché qui apparaissait prometteur aux US. Quand nous arrivons avec le TO7. Quand le TO7 sortira, près de trois ans après, de nombreux concurrents se sont déjà positionnés sur le marché français mais le TO7 trouvera sa place grâce à son orientation éducative et les accords avec VIFI Nathan qui permettront au TO7 de passer la barrière habituelle que le public français crée à l’arrivée d’une nouvelle technologie ! Ce choix judicieux pour le marché français constituera un obstacle infranchissable pour adresser les autres marchés !
Binaire: On fait comment pour fabriquer un PC dans les années 70 ?

ML : À la fin du vidéodisque grand public, mon patron moulinois m’a proposé de rechercher un micro-ordinateur pour le revendre dans le réseau Thomson. La recherche se solda par un échec et poussé par l’équipe grenobloise de Thomson semi-conducteurs, nous avons proposé d’en fabriquer un ! Je partais de rien. Je me suis appuyé sur les conseils et la volonté de l’équipe de Grenoble de Thomson semi-conducteurs qui me poussaient vers les puces 6800 pour le microprocesseur et vers les chips de TV Antiope pour la vidéo. Ensuite faute d’expertise en logiciel, on a embauché José Henrard, chercheur en sociologie au CNRS, qui bricolait dans le labo de Mr Dupuis à Jussieu et qui avait développé une maquette basée sur un microprocesseur 4 bits. Il avait conçu le moniteur pour la faire fonctionner. Avec ces deux éléments, on a réalisé la première maquette wrappée du T07 avec un microprocesseur 6800, et une interface vidéo réalisée avec 70 circuits TTL. Le tout fonctionnait avec un moniteur et un crayon optique conçu que j’avais conçu. Inutile de dire que cela n’a pas fonctionné du premier coup, mais à force de travail acharné de toute l’équipe on a pu réaliser une démonstration à la direction générale dans des conditions assez rocambolesques !
Binaire: quels rôles pour l’ADI, le centre mondial de l’informatique et l’éducation nationale dans cette aventure ?
ML : Je suis mal placé pour juger du rôle du centre mondial de l’informatique car c’est plutôt José, situé à la SIMIV à Paris, qui avait les relations avec le monde politique. Tout ce que je sais c’est que les relations n’étaient pas les meilleures car JJSS poussait plus pour les produits Apple que vers les TO/MO. Il a, avec quelques autres acteurs du monde éducatif savonner la planche du plan informatique pour tous et a surtout œuvré pour qu’Apple soit l’ordinateur du plan IPT. Je pense qu’il y a eu un apport positif avec Seymour Papert et Logo que l’on utilisé sur le TO7.

Binaire: quel est l’un de tes plus beau souvenir ?
ML : J’en citerai plusieurs :
- l’apparition de la première image sur l’écran et le pilotage par le crayon optique
- le passage de la première pub (les rois mages) à la TV juste avant Noël
Binaire: quelle est ta plus grande fierté ?
ML : Il est clair que ma plus grande fierté a été de voir les TO7 dans les écoles et de pouvoir en faire bénéficier les élèves des classes de mes enfants. De voir les yeux émerveillés des enfants dans la classe de mon fils quand ils faisaient du dessin avec le logiciel PICTOR et le crayon optique. C’est aussi de savoir que de nombreuses personnes sont devenus informaticiens ou tout au moins se sont initiés à l’informatique grâce à ces produits.
Le plus étonnant est de voir encore les fans (nombreux) jouer sur ces produits (ou émulateurs), créer de nouveaux jeux , faire des compétitions! Depuis la sortie du livre des témoignages touchants me racontent avec émotion la place qu’avait pris les TO7 dans leur enfance. Utilisations originales : accord avec Légo pour piloter les moteurs de constructions Légo, pilotage d’outils de laboratoire via l’interface IEEE, la tortue Logo…..
Binaire: des regrets ?
ML : Au niveau stratégique, de ne pas avoir su commuter au bon moment vers le domaine du jeu (tant au niveau hardware que bien sûr logiciel) et ainsi de nous permettre de mieux nous positionner sur le marché européen, et d’avoir été un acteur, malgré moi, des premières délocalisations avec le transfert de la fabrication du TO8 vers la Corée et vers Daewoo!
Pour aller plus loin:
- à propos du CMI : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab8300029601/centre-mondial-informatique
- le livre « Le Thomson T07, succès controversé de la microinformatique française« , chez L’écritoire
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