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  • Une intelligence artificielle à la tête d’un pays : science-fiction ou réalité future? 

    Petit mot sur l’auteur : Jason Richard, étudiant en master expert en systèmes d’information et informatique, est passionné par l’Intelligence Artificielle et la cybersécurité. Son objectif est de partager des informations précieuses sur les dernières innovations technologiques pour tenir informé et inspiré le plus grand nombre. Ikram Chraibi Kaadoud, Jill-jenn Vie

    Introduction

    Dans un monde où l’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus présente dans notre quotidien, de la recommandation de films sur Netflix à la prédiction de la météo, une question audacieuse se pose : une IA pourrait-elle un jour diriger un pays ? Cette idée, qui semble tout droit sortie d’un roman de science-fiction, est en réalité de plus en plus débattue parmi les experts en technologie et en politique.

    L’IA a déjà prouvé sa capacité à résoudre des problèmes complexes, à analyser d’énormes quantités de données et à prendre des décisions basées sur des algorithmes sophistiqués. Mais diriger un pays nécessite bien plus que de simples compétences analytiques. Cela nécessite de la sagesse, de l’empathie, de la vision stratégique et une compréhension profonde des nuances humaines – des qualités que l’IA peut-elle vraiment posséder ?

    Dans cet article, nous allons explorer cette question fascinante et quelque peu controversée. Nous examinerons les arguments pour et contre l’idée d’une IA à la tête d’un pays, nous discuterons des implications éthiques et pratiques. Que vous soyez un passionné de technologie, un politologue ou simplement un citoyen curieux, nous vous invitons à nous rejoindre dans cette exploration de ce qui pourrait être l’avenir de la gouvernance.

    L’intelligence artificielle : une brève introduction

    Avant de plonger dans le débat sur l’IA en tant que chef d’État, il est important de comprendre ce qu’est l’intelligence artificielle et ce qu’elle peut faire. L’IA est un domaine de l’informatique qui vise à créer des systèmes capables de réaliser des tâches qui nécessitent normalement l’intelligence humaine. Cela peut inclure l’apprentissage, la compréhension du langage naturel, la perception visuelle, la reconnaissance de la parole, la résolution de problèmes et même la prise de décision.

    L’IA est déjà largement utilisée dans de nombreux secteurs. Par exemple, dans le domaine de la santé, l’IA peut aider à diagnostiquer des maladies, à prédire les risques de santé et à personnaliser les traitements. Dans le secteur financier, l’IA est utilisée pour détecter les fraudes, gérer les investissements et optimiser les opérations. Dans le domaine des transports, l’IA est au cœur des voitures autonomes et aide à optimiser les itinéraires de livraison. Et bien sûr, dans le domaine de la technologie de l’information, l’IA est omniprésente, des assistants vocaux comme Siri et Alexa aux algorithmes de recommandation utilisés par Netflix et Amazon.

    Cependant, malgré ces avancées impressionnantes, l’IA a encore des limites. Elle est très bonne pour accomplir des tâches spécifiques pour lesquelles elle a été formée, mais elle a du mal à généraliser au-delà de ces tâches*. De plus, l’IA n’a pas de conscience de soi, d’émotions ou de compréhension intuitive du monde comme les humains. Elle ne comprend pas vraiment le sens des informations qu’elle traite, elle ne fait que reconnaître des modèles dans les données.

    Cela nous amène à la question centrale de cet article : une IA, avec ses capacités et ses limites actuelles, pourrait-elle diriger un pays ? Pour répondre à cette question, nous devons d’abord examiner comment l’IA est déjà utilisée dans le domaine politique.

     

    *Petit aparté sur ChatGPT et sa capacité de généralisation :

    Chatgpt est une intelligence artificielle (de type agent conversationnel) qui, en effet, à pour but de répondre au maximum de question. Cependant, si on ne la « spécialise » pas avec un bon prompt, les résultats démontrent qu’elle a du mal à être juste. Google l’a encore confirmé avec PALM, un modèle de « base » où l’on vient rajouter des briques métiers pour avoir des bons résultats.

    L’IA en politique : déjà une réalité ?

    L’intelligence artificielle a déjà commencé à faire son chemin dans le domaine politique, bien que nous soyons encore loin d’avoir une IA en tant que chef d’État. Cependant, les applications actuelles de l’IA en politique offrent un aperçu fascinant de ce qui pourrait être possible à l’avenir.

    L’une des utilisations les plus courantes de l’IA en politique est l’analyse des données. Les campagnes politiques utilisent l’IA pour analyser les données des électeurs, identifier les tendances et personnaliser les messages. Par exemple, lors des élections présidentielles américaines de 2016, les deux principaux candidats ont utilisé l’IA pour optimiser leurs efforts de campagne, en ciblant les électeurs avec des messages personnalisés basés sur leurs données démographiques et comportementales.

    L’IA est également utilisée pour surveiller les médias sociaux et identifier les tendances de l’opinion publique. Les algorithmes d’IA peuvent analyser des millions de tweets, de publications sur Facebook et d’autres contenus de médias sociaux pour déterminer comment les gens se sentent à propos de certains sujets ou candidats. Cette information peut être utilisée pour informer les stratégies de campagne et répondre aux préoccupations des électeurs.

    Dans certains pays, l’IA est même utilisée pour aider à la prise de décision politique. Par exemple, en Estonie, un petit pays d’Europe du Nord connu pour son adoption précoce de la technologie, le gouvernement développe une intelligence artificielle qui devra arbitrer de façon autonome des affaires de délits mineurs.

    En plus du « juge robot », l’État estonien développe actuellement 13 systèmes d’intelligence artificielle directement intégrés dans le service public. Cela s’applique également au Pôle Emploi local, où plus aucun agent humain ne s’occupe des personnes sans emploi. Ces derniers n’ont qu’à partager leur CV numérique avec un logiciel qui analyse leurs différentes compétences pour ensuite créer une proposition d’emploi appropriée. Premier bilan : 72 % des personnes qui ont trouvé un emploi grâce à cette méthode le conservent même 6 mois plus tard. Avant l’apparition de ce logiciel, ce taux était de 58 %.

    Cependant, malgré ces utilisations prometteuses de l’IA en politique, l’idée d’une IA en tant que chef d’État reste controversée. Dans les sections suivantes, nous examinerons les arguments pour et contre cette idée, et nous discuterons des défis et des implications éthiques qu’elle soulève.

    L’IA à la tête d’un pays : les arguments pour

    L’idée d’une intelligence artificielle à la tête d’un pays peut sembler futuriste, voire effrayante pour certains. Cependant, il existe plusieurs arguments en faveur de cette idée qui méritent d’être examinés.

    Efficacité et objectivité : L’un des principaux avantages de l’IA est sa capacité à traiter rapidement de grandes quantités de données et à prendre des décisions basées sur ces données. Dans le contexte de la gouvernance, cela pourrait se traduire par une prise de décision plus efficace et plus objective. Par exemple, une IA pourrait analyser des données économiques, environnementales et sociales pour prendre des décisions politiques éclairées, sans être influencée par des biais personnels ou politiques.

    Absence de corruption : Contrairement aux humains, une IA ne serait pas sujette à la corruption**. Elle ne serait pas influencée par des dons de campagne, des promesses de futurs emplois ou d’autres formes de corruption qui peuvent affecter la prise de décision politique. Cela pourrait conduire à une gouvernance plus transparente et plus équitable.

    Continuité et stabilité : Une IA à la tête d’un pays pourrait offrir une certaine continuité et stabilité, car elle ne serait pas affectée par des problèmes de santé, des scandales personnels ou des changements de gouvernement. Cela pourrait permettre une mise en œuvre plus cohérente et à long terme des politiques.

    Adaptabilité : Enfin, une IA pourrait être programmée pour apprendre et s’adapter en fonction des résultats de ses décisions. Cela signifie qu’elle pourrait potentiellement s’améliorer avec le temps, en apprenant de ses erreurs et en s’adaptant aux changements dans l’environnement politique, économique et social.

    Cependant, bien que ces arguments soient convaincants, ils ne tiennent pas compte des nombreux défis et inquiétudes associés à l’idée d’une IA à la tête d’un pays. Nous examinerons ces questions dans la section suivante.

    **Petit aparté sur la corruption d’une IA:

    Le sujet de la corruption d’une IA ou de son incorruptibilité a généré un échange en interne que l’on pense intéressant de vous partager

    Personne 1 : Ça dépend de qui contrôle l’IA !

    Auteur : La corruption est le détournement d’un processus. L’intelligence en elle-même n’est pas corruptible. Après, si les résultats ne sont pas appliqué, ce n’est pas l’IA que l’on doit blâmer

    Personne 1 : En fait on peut en débattre longtemps, car le concepteur de l’IA peut embarquer ses idées reçues avec, dans l’entraînement. De plus, une personne mal intentionnée peut concevoir une IA pour faire des choses graves, et là il est difficile de dire que l’IA n’est pas corruptible.

    Auteur : Oui c’est sûr ! Volontairement ou involontairement, on peut changer les prédictions, mais une fois entrainé, ça semble plus compliqué. J’ai entendu dire que pour les IA du quotidien, une validation par des laboratoires indépendants serait obligatoire pour limiter les biais. A voir !

    En résumé, la corruption d’une IA est un sujet complexe à débattre car il implique une dimension technique liée au système IA en lui-même et ses propres caractéristiques (celle-ci sont-elles corruptibles?) et une dimension humaine liée aux intentions des personnes impliqués dans la conception, la conception et le déploiement de cette IA. Sans apporter de réponses, cet échange met en lumière la complexité d’un tel sujet pour la réflexion citoyenne.

    L’IA à la tête d’un pays : les arguments contre

    Malgré les avantages potentiels d’une IA à la tête d’un pays, il existe de sérieux défis et préoccupations qui doivent être pris en compte. Voici quelques-uns des principaux arguments contre cette idée.

    Manque d’empathie et de compréhension humaine : L’une des principales critiques de l’IA en tant que chef d’État est qu’elle manque d’empathie et de compréhension humaine. Les décisions politiques ne sont pas toujours basées sur des données ou des faits objectifs ; elles nécessitent souvent une compréhension nuancée des valeurs, des émotions et des expériences humaines. Une IA pourrait avoir du mal à comprendre et à prendre en compte ces facteurs dans sa prise de décision.

    Responsabilité : Un autre défi majeur est la question de la responsabilité. Si une IA prend une décision qui a des conséquences négatives, qui est tenu responsable ? L’IA elle-même ne peut pas être tenue responsable, car elle n’a pas de conscience ou de volonté propre. Cela pourrait créer un vide de responsabilité qui pourrait être exploité.

    Risques de sécurité : L’IA à la tête d’un pays pourrait également poser des risques de sécurité. Par exemple, elle pourrait être vulnérable au piratage ou à la manipulation par des acteurs malveillants. De plus, si l’IA est basée sur l’apprentissage automatique, elle pourrait développer des comportements imprévus ou indésirables en fonction des données sur lesquelles elle est formée.

    Inégalités : Enfin, l’IA pourrait exacerber les inégalités existantes. Par exemple, si l’IA est formée sur des données biaisées, elle pourrait prendre des décisions qui favorisent certains groupes au détriment d’autres. De plus, l’IA pourrait être utilisée pour automatiser des emplois, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives pour les travailleurs.

    Ces défis et préoccupations soulignent que, bien que l’IA ait le potentiel d’améliorer la gouvernance, son utilisation en tant que chef d’État doit être soigneusement considérée et réglementée. Dans la section suivante, nous examinerons les points de vue de différents experts sur cette question.

    Points de vue des experts : une IA à la tête d’un pays est-elle possible ?

    La question de savoir si une IA pourrait un jour diriger un pays suscite un débat animé parmi les experts. Certains sont optimistes quant à la possibilité, tandis que d’autres sont plus sceptiques.

    Les optimistes : Certains experts en technologie et en politique croient que l’IA pourrait un jour être capable de diriger un pays. Ils soulignent que l’IA a déjà prouvé sa capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions basées sur des données. Ils suggèrent que, avec des avancées supplémentaires en matière d’IA, il pourrait être possible de créer une IA qui comprend les nuances humaines et qui est capable de prendre des décisions politiques éclairées.

    Les sceptiques : D’autres experts sont plus sceptiques. Ils soulignent que l’IA actuelle est loin d’être capable de comprendre et de gérer la complexité et l’incertitude inhérentes à la gouvernance d’un pays. Ils mettent également en garde contre les risques potentiels associés à l’IA en politique, tels que de responsabilité, les risques de sécurité et les inégalités.

    Les pragmatiques : Enfin, il y a ceux qui adoptent une approche plus pragmatique. Ils suggèrent que, plutôt que de remplacer les dirigeants humains par des IA, nous devrions chercher à utiliser l’IA pour soutenir et améliorer la prise de décision humaine. Par exemple, l’IA pourrait être utilisée pour analyser des données politiques, économiques et sociales, pour prédire les conséquences des politiques proposées, et pour aider à identifier et à résoudre les problèmes politiques.

    En fin de compte, la question de savoir si une IA pourrait un jour diriger un pays reste ouverte. Ce qui est clair, cependant, c’est que l’IA a le potentiel de transformer la politique de manière significative. À mesure que la technologie continue de progresser, il sera essentiel de continuer à débattre de ces questions et de réfléchir attentivement à la manière dont nous pouvons utiliser l’IA de manière éthique et efficace en politique.

    Conclusion : Vers un futur gouverné par l’IA ?

    L’idée d’une intelligence artificielle à la tête d’un pays est fascinante et controversée. Elle soulève des questions importantes sur l’avenir de la gouvernance, de la démocratie et de la société en général. Alors que l’IA continue de se développer et de s’intégrer dans de nombreux aspects de notre vie quotidienne, il est essentiel de réfléchir à la manière dont elle pourrait être utilisée – ou mal utilisée – dans le domaine de la politique.

    Il est clair que l’IA a le potentiel d’améliorer la prise de décision politique, en rendant le processus plus efficace, plus transparent et plus informé par les données. Cependant, il est également évident que l’IA présente des défis et des risques importants, notamment en termes de responsabilité, de sécurité et d’équité.

    Alors, une IA à la tête d’un pays est-elle science-fiction ou réalité future ? À l’heure actuelle, il semble que la réponse soit quelque part entre les deux. Bien que nous soyons encore loin d’avoir une IA en tant que chef d’État, l’IA joue déjà un rôle de plus en plus important dans la politique. À mesure que cette tendance se poursuit, il sera essentiel de continuer à débattre de ces questions et de veiller à ce que l’utilisation de l’IA en politique soit réglementée de manière à protéger les intérêts de tous les citoyens.

    En fin de compte, l’avenir de l’IA en politique dépendra non seulement des progrès technologiques, mais aussi des choix que nous faisons en tant que société. Il est donc crucial que nous continuions à nous engager dans des discussions ouvertes et éclairées sur ces questions, afin de façonner un avenir dans lequel l’IA est utilisée pour améliorer la gouvernance et le bien-être de tous.

    Références et lectures complémentaires

    Pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet, voici les références :

    Pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet, voici une de lectures complémentaires :

    • « The Politics of Artificial Intelligence » par Nick Bostrom. Ce livre explore en profondeur les implications politiques de l’IA, y compris la possibilité d’une IA à la tête d’un pays.
    • « AI Superpowers: China, Silicon Valley, and the New World Order » par Kai-Fu Lee. Cet ouvrage examine la montée de l’IA en Chine et aux États-Unis, et comment cela pourrait remodeler l’équilibre mondial du pouvoir.
    • « The Ethics of Artificial Intelligence » par Vincent C. Müller et Nick Bostrom. Cet article examine les questions éthiques soulevées par l’IA, y compris dans le contexte de la gouvernance.
    • « Artificial Intelligence The Revolution Hasn’t Happened Yet » par Michael Jordan. Cet article offre une perspective sceptique sur l’IA en politique, mettant en garde contre l’excès d’optimisme.
    • « The Malicious Use of Artificial Intelligence: Forecasting, Prevention, and Mitigation » par Brundage et al. Ce rapport explore les risques de sécurité associés à l’IA, y compris dans le contexte de la politique.

    Ces ressources offrent une variété de perspectives sur l’IA en politique et peuvent aider à éclairer le débat sur la possibilité d’une IA à la tête d’un pays. Comme toujours, il est important de garder à l’esprit que l’IA est un outil, et que son utilisation en politique dépendra des choix que nous faisons en tant que société.

  • NTIC et menaces sur la santé : Des choix économiques et politiques. Partie 2

    Petit mot sur l’autrice : Servane Mouton est docteure en médecine, neurologue et neurophysiologiste, spécialisée en psychopathologie des apprentissages et titulaire d’un master 2 en neurosciences. Elle s’intéresse particulièrement au neuro-développement normal et à ses troubles ainsi qu’aux liens entre santé et environnement. Ceci est le second article traitant du sujet NTIC et menaces sur la santé, le premier étant au lien disponible ici. Elle aborde pour nous le sujet des choix économiques et politiques intervenant dans ces sujets et leur impact sur la santé en lien avec les NTIC. Ikram Chraibi Kaadoud, Thierry Viéville.

    Le déploiement d’internet dans les années 1990, l’arrivée des smartphones en 2007 et plus récemment, les confinements successifs liés à la pandémie COVID 19 en 2020, se sont accompagnés d’une véritable explosion des temps d’écran et ce dès le plus jeune âge.  Pour accompagner ce changement d’usage, des recommandations ont été mises en place, mais ne semblent pas suffisantes car déjà remises en question: elles ne tiendraient pas compte de tous les enjeux en présence, à savoir d’ordre sanitaire pour l’espèce humaine, mais aussi environnemental, et, finalement, sociétal. 

    Si dans le premier article, le Dr Servane Mouton abordait l’impact des NTIC sur la sédentarité, le sommeil, et la vision et plus globalement sur le développement des enfants, dans l’article ci dessous elle questionne et nous partage des propositions d’actions pour accompagner et contrôler l’impact des NTIC dans nos vies.

     NTIC : 

    Sigle désignant « Nouvelles technologies de l’information et de la   communication » qui regroupe  l’« ensemble des techniques et des équipements informatiques permettant de communiquer à distance par voie électronique » (Dictionnaire Larousse). Les NTIC permettent à leurs utilisateurs d’accéder aux sources d’information, de les stocker, voire de les transmettre à d’autres utilisateurs dans un délai très court.

    Definition extraite de Grevisse, Y. R. DE LA FALSIFICATION ELECTRONIQUE DES DOCUMENTS DANS LE SECTEUR EDUCATIF EN RDC: les enjeux des NTIC. Technological Forecasting & Social Change77, 265-278. 

    Figure 1 – Proposition d’actions pour la régulation de l’usage des NTIC

    Une attention manipulée

    Revenons aux usages actuels : comment sommes-nous arrivés à de tels excès ? En grande partie à cause de l’essor non réglementé de l’économie de l’attention. Les industriels du secteur, réseaux sociaux, jeux vidéo et autres activités récréatives et/ou commerciales en ligne, cherchent à augmenter le temps de connexion afin notamment de recueillir le plus possible de données de navigation qui seront ensuite sources de profits.  La conception des algorithmes repose sur une connaissance fine du fonctionnement cérébral, ce qui rend (quasiment) irrésistibles les contenus de ces plateformes proposés « gratuitement ». La stimulation du système de récompense par la nouveauté ou les gratifications, les effets de « simple exposition » et de « dotation », la pression sociale, la « Fear Of Missing Out », sont des leviers parmi d’autres pour capter et maintenir captive notre attention. On ne parle officiellement d’addiction que pour les jeux vidéo en ligne et les jeux d’argent, les termes « addictif-like », usages « abusifs » ou « compulsifs » sont employés pour les autres produits1.

    Somme toute, il nous semble que l’histoire du tabac se répète : des produits addictifs ou addictifs-like sont mis à disposition de tous y compris des mineurs, et leur usage a des effets délétères multiples et avérés sur la santé à court, moyen et long terme. Avec les NTIC, les dégâts sont cependant bien plus diffus. Et les parties prenantes bien plus nombreuses.

    Il y a bien entendu les GAFAM et autres acteurs du secteur. A ce titre, la numérisation croissante de l’enseignement, dès la maternelle, est une aubaine : outre l’immense marché représenté par les établissements scolaires, les habitudes prises dans l’enfance ont une forte chance/un haut risque de perdurer. L’écran fera ainsi partie intégrante de l’environnement de l’individu.

    Mais toutes les industries reposant sur la consommation (cf ci-dessus) : agro-alimentaire, alcool, cigarettes e-ou classiques, textiles, jeux et jouets, etc. ont aussi intérêt à laisser libre cours à l’invasion numérique. Les achats/ventes en ligne, les publicités officielles ou déguisées, ciblées grâce à l’analyse des données de navigation, permettent au marketing d’être redoutablement efficace.

    Quelques propositions

    Estimation des coûts des NTIC pour la santé publique

    Il serait intéressant, nécessaire même, d’évaluer les coûts en terme de santé des usages numériques. La souffrance n’a pas de prix…Mais il est sans doute possible d’estimer la part de responsabilité des NTIC dans les dépenses pour les consultations et traitements en orthophonie, en psychomotricité, en psychiatrie, en ophtalmologie, ou pour les maladies métaboliques et cardiovasculaires, les troubles du sommeil et ses conséquences multiples.

    Législation efficace quant de l’économie de l’attention, sécurisation de la navigation sur internet.

    L’économie de l’attention devrait être efficacement régulée, au vu des conséquences délétères multiples sur le plan sanitaire d’un usage excessif/abusif qu’elle favorise.

    Une législation similaire à celle ayant cours pour la recherche biomédicale devrait s’appliquer à la recherche-développement (RD) de ces produits, considérant qu’il s’agit de recherche impliquant des sujets humains, et de produits dont l’usage affecte leur santé eu sens large. On pourrait s’inspirer du Code de la Santé Publique, définissant par l’article L 1123-7 le Comité de Protection des Personnes (CPP) comme chargé « d’émettre un avis préalable sur les conditions de validité de toute recherche impliquant la personne humaine, au regard des critères définis.

    Il faudrait exiger la transparence du secteur des NTIC, rendant les données de navigation ainsi que les dossiers de RD de produits impliquant la captation de l’attention accessibles aux chercheurs indépendants et institutionnels.

    Protection des mineurs

    Sur internet, le code de la sécurité intérieure ne traite pas la question de la protection des mineurs sous l’angle de la prévention contre l’addiction, mais uniquement contre l’exposition à la pornographie, à la violence et à l’usage de drogues (article L. 321-10). Or les adolescents jouent massivement en ligne : 96% des 10-17 ans sont des joueurs, et ils représentent 60 % des joueurs en ligne français. Dans cette même classe d’âge, 70 % utilisent les réseaux sociaux. Ceci représente une exception dans le domaine de l’addiction. Pour mémoire, on estime que la seule industrie du jeu vidéo pesait 300 milliards de dollars en 2021…

    La navigation sur internet devrait être sécurisée : une ambitieuse proposition de loi est en cours d’examen au Sénat, concernant l’accès aux contenus pornographiques, les contenus pédopornographiques, le cyberharcèlement, l’incitation à la haine en ligne, la désinformation, les arnaques en ligne, les jeux à objets numériques monétisables. Elle inclut aussi l’interdiction de publicités ciblées pour les mineurs sur les plateformes. Espérons qu’une fois cette loi votée, les obstacles techniques robustes seront surmontés, rapidement.

    Une loi vient d’être promulguée, établissant la majorité numérique à 15 ans pour les réseaux sociaux. Ceci est un témoin de la prise de conscience des enjeux, et nous espérons qu’elle sera mise en application de façon efficiente, malgré les obstacles techniques considérables. Malgré tout, elle nous parait insuffisante : qu’en est-il des 15-18 ans ? Qu’en est-il des des jeux vidéo en ligne, dont le caractère addictif potentiel est pourtant lui reconnu par l’OMS ?

    On peut saluer le projet de loi visant la sécurisation et la régulation de l’espace numérique, qui prévoit que les mineurs ne seront plus l’objet de publicités ciblées. Malheureusement, ils ne seront pas protégés des publicités « classiques »…

    Témoin de l’intensité du lobbying de l’industrie agro-alimentaire, et des enjeux économiques sous-jacents, soulignons ainsi un détail qui n’en est pas dans une autre loi promulguée le 9 Juin dernier, portant sur les influenceurs des réseaux sociaux. Cette dernière va ainsi encadrer la promotion faite par ces derniers : ils n’auront plus le droit de vanter les boissons alcoolisées, le tabac, les e-cigarettes. Un amendement avait été apporté après la première lecture au Sénat, afin d’ajouter dans cette liste les aliments trop sucrés, salés, gras ou édulcorés, la publicité par les influenceurs étant particulièrement persuasive en particulier pour les plus jeunes. Les auteurs de l’amendement s’appuyaient d’une part sur une expertise collective de l’Inserm de 2017 concluant que les messages sanitaires (« manger, bouger » par exemple, note de l’auteur) ont une faible portée sur le changement des comportements alimentaires ; d’autre part sur le fait que de nombreux experts de santé publique, à commencer par l’OMS et Santé Publique France, ont démontré que l’autorégulation de  l’industrie agroalimentaire sur laquelle s’appuie la France (tels qu’un engagement volontaire en faveur de « bonnes pratiques ») est inefficace.

    Mais cet amendement a lui-même été amendé, laissant libre cours à cette publicité, comme sur les autres médias… Comme maintes fois auparavant, les tentatives pour préserver les moins de 18 ans de l’influence de ces publicités ont été écartées. Elles seront donc simplement assujetties aux mêmes règles que sur les autres supports, comme être accompagnées de messages promouvant la santé (manger-bouger, etc).

    L’argument, pourtant souligné par les auteurs de l’amendement : « Le coût global (en France) d’un régime alimentaire néfaste sur le plan diététique dépasse les 50 milliards d’euros par an, celui du diabète de type 2 représentant à lui seul 19 milliards d’euros. » n’a pas suffi…

    Globalement, la collecte des données de navigation des mineurs, qu’elles soient exploitées immédiatement ou lors de leur majorité (numérique ou civile) nous parait poser problème. Et que l’âge même de la majorité diffère dans les vies civile ou numérique (pour les données de navigation selon le Réglement Général de Protection des données (RGPD) et maintenant en France pour l’accès aux réseaux sociaux, cette majorité numérique est à 15 ans) nécessiterait des éclaircissements au vu des enjeux précédemment exposés (et de de ceux que nous n’avons pu détailler).

    Il nous semble que tant qu’une législation vis-à-vis des pratiques des industriels n’est pas efficiente pour protéger les usagers de ces risques, la vente et l’usage de smartphone et autres outils mobiles à ou pour les mineurs devrait être remise en question, de même que leur accès aux plateformes de réseaux sociaux et de jeux vidéo en ligne.

    L’épineuse question de l’enseignement

    En 2022, le Conseil Supérieur des Programmes du Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports soulignait les disparités de valeur ajoutée de l’usage des outils numériques dans l’enseignement selon les matières, les enseignants, le profil des élèves aussi. Il recommandait notamment 2 : « avant l’âge de six ans, ne pas exposer les enfants aux écrans et d’une manière générale à l’environnement numérique ; de six à dix ans, à l’école, privilégier l’accès aux ressources offertes par le livre, le manuel scolaire imprimé. » Pourtant, l’état français soutient encore financièrement et encourage fortement la numérisation des établissements scolaires dès l’école primaire, et même, en maternelle. Tandis que la Suède a fait cette année marche arrière sur ce plan-là, attribuant études à l’appui la baisse des résultats de leurs élèves (que l’on observe également en France) à la numérisation extensive de l’enseignement effectuée au cours des dernières années, et préconisant le retour aux manuels scolaires papier. Considérant en outre les arguments sanitaires cités précédemment et l’impact environnemental avéré des NTIC, leur usage par les élèves et leur déploiement dans les écoles, collèges et lycées devrait être réellement et mieux réfléchi. Par ailleurs, les smartphones devraient être exclus de l’enceinte des établissements scolaires, afin d’offrir un espace de déconnexion et d’éviter de favoriser les troubles attentionnels induits par leur seule présence, même lorsqu’ils sont éteints.

    Campagne d’information à grande échelle

    Les enjeux sont tels qu’une information de l’ensemble de la population apparait urgente et nécessaire, sur le modèle « choc », par exemple, de la prévention de la consommation d’alcool. Le sujet devrait être abordé dès le début de grossesse, cette période étant généralement celle où les futurs parents sont les plus réceptifs et les plus enclins à remettre en cause leurs pratiques pour le bien de l’enfant à venir. La formation des soignants, professionnels de l’enfance, et des enseignants est indispensable, devant s’appuyer sur les données les plus récentes de la littérature scientifique.

    Protection des générations futures

    L’étendard de la croissance est systématiquement brandi lorsque l’on incite à reconsidérer la pertinence du déploiement du numérique. Mais il est aujourd’hui reconnu largement qu’une croissance infinie n’est ni raisonnable ni souhaitable dans notre écosystème fini.

    Or les NTIC sont tout sauf immatérielles. Leurs impacts environnementaux sont directs et indirects 3,4. Les premiers sont essentiellement dus à la phase de fabrication des terminaux : extraction des matières premières associée à une pollution colossale des sites dans des pays où la législation est quelque peu laxiste (Afrique, Chine, Amérique du Sud notamment) et des conséquences dramatiques en particulier pour les populations voisines et les travailleurs locaux (conditions de travail déplorables, travail des enfants), acheminement des matériaux. Mais aussi à leur fonctionnement et au stockage des données, au recyclage insuffisant (pollution eau/sol/air, consommation d’eau et d’énergie). Les seconds sont consécutifs au rôle central des NTIC dans la « grande accélération », avec encouragement des tendances consuméristes. Ils sont plus difficilement estimables et probablement les plus problématiques.

    Il est entendu que la santé humaine est étroitement liée à la qualité de son environnement, et que l’altération de celui-ci la compromet, comme elle compromet tout l’écosystème.

    Certes la médecin a progressé considérablement, notamment parallèlement aux innovations technologiques s’appuyant sur le numérique. Mais, nous avons au moins le droit de poser la question : ne vaut-il pas mieux œuvrer à améliorer notre hygiène de vie (sédentarité, activité physique, alimentation) et notre environnement (pollution atmosphérique, perturbateurs endocriniens) pour entretenir notre santé cardiovasculaire, que développer des instruments sophistiqués permettant d’explorer et de déboucher une artère, à grand coût économique et environnemental ? Instruments qui ne bénéficieront qu’à une minime fraction de la population mondiale, celle des pays riches ou aux classes aisées des pays qui le sont moins. Et le coût environnemental est justement assumé majoritairement par les pays les plus pauvres, dont sont issus les matières premières et où ont lieu le « recyclage » et le « traitement » des déchets.

    En résumé

    Les innovations portées par les NTIC ont un fort potentiel de séduction voire de fascination. Ne pas rejoindre sans réserve la révolution numérique ferait-il de nous des technophobes réfractaires au progrès ? Et si au contraire il était temps de prendre conscience des dangers et écueils liés à un déploiement extensif et non réfléchi de ces technologies ?

     Références bibliographiques

    1. Montag C, Lachmann B, Herrlich M, Zweig K. Addictive Features of Social Media/Messenger Platforms and Freemium Games against the Background of Psychological and Economic Theories. International Journal of Environmental Research and Public Health. 2019 Jul 23;16(14):2612.
    2. Avis sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques – juin 2022. Conseil Supérieur des Programmes, Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports
    3. Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication – Les faces cachées de l’immatérialité. Groupe EcoInfo, Françoise Berthoud. EDP Sciences. 2012.
    4. Le numérique en Europe : une approche des impacts environnementaux par l’analyse du cycle de vie (NumEU) – Green IT. 2021.