Catégorie : Education

  • Jules Ferry 3.0

    Le 3 octobre 2014, le Conseil national du numérique (CNNum) a publié ses recommandations pour bâtir une école créative et juste dans un monde numérique. Le titre du rapport est Jules Ferry 3.0 – rencontre improbable entre l’un des pères fondateurs de l’identité républicaine et le Web 3.0, le Web des connaissances. Serge Abiteboul, qui est membre du CNNum et a participé à l’écriture du rapport, et Gilles Dowek, qui a été auditionné dans le cadre de sa préparation, considèrent pour Binaire un des aspects abordés par ce rapport : l’enseignement de l’informatique.

    Jules_Ferry_Nadar

    Jules Ferry, Wikipédia

    Notre idéal éducatif est tout tracé. L’éducation du peuple aujourd’hui a une dimension personnelle. Son objectif est de donner à chacun sa chance non pas en servant à chacun la même soupe amère au nom d’une égalité mal comprise mais en permettant à chacun d’accéder à l’éducation adaptée à sa demande, Jules Ferry, 1870

    Programme ou tu seras programmé ! Douglas Rushkoff, 2012

    L’École traverse une crise existentielle : elle paraît bien désarmée face à la révolution numérique et peine, par exemple, à intégrer un enseignement de l’informatique dans ses programmes. Pour essayer de contribuer à cette nécessaire transformation de l’École, le Conseil National  du Numérique évoque, dans un rapport publié ce 3 octobre, les mânes de  l’idéal républicain et  réaffirme la nécessité de l’École gratuite et obligatoire pour tous : « L’enseignement de l’informatique de l’école primaire au lycée. C’est une réponse à l’attente sociale d’une politique de l’égalité : permettre à tous les élèves d’avoir une « clé » pour comprendre le monde numérique, participer à la vie sociale et se préparer à de nouveaux mondes professionnels. »

    Le défi est immense : il faut « Construire l’école solidaire et créative d’un monde numérique » et il faut agir rapidement, comme le soulignait déjà le rapport publié l’année dernière par l’Académie des Science, « Il est urgent de ne plus attendre ».
    Le rapport du CNNUM est organisé en 7 chapitres qui structurent ses recommandations :
    1.    Enseigner l’informatique : une exigence
    2.    Installer la littératie de l’âge numérique
    3.    Oser le bac Humanités Numériques
    4.    Vivre l’école en réseau
    5.    Relier la recherche et l’éducation
    6.    Accompagner l’explosion des usages éditoriaux
    7.    Accepter les nouvelles industries de la formation

    Ce rapport est riche et touffu et nous en conseillons la lecture à tous ceux qui s’intéressent aux questions d’éducation. Nous nous limitons dans ce post au premier chapitre, consacré à l’enseignement de l’informatique, parce qu’il nous semble particulièrement important pour le futur de notre pays et parce qu’il rejoint un combat que nous menons depuis plusieurs années.

    Cette exigence d’enseigner l’informatique, qui revient dans de nombreux rapports, en France comme à l’étranger, est en train de s’imposer. Le rapport va plus loin en proposant trois mesures simples et concrètes pour lancer son installation :

    • A l’école primaire : offrir aux professeurs la formation en informatique qui les aidera à répondre aux attentes de leurs élèves.
    • Au collège : démarrer un enseignement d’informatique d’un an, en classe troisième,  sur le temps de la technologie, centré sur la programmation et de l’algorithmique.
    • Au lycée : offrir à tous les élèves la possibilité de choisir l’option Informatique et Science du Numérique en terminale.

    Le rapport insiste sur un indispensable renouvellement des méthodes pédagogiques qui doit accompagner un enseignement de l’informatique. Ce nouvel enseignement doit, par exemple, être l’occasion de développer un enseignement par projet, aujourd’hui encore trop limité dans nos Écoles. En plaidant pour que ces projets soient le plus souvent possible proposés en collaboration avec d’autres disciplines, le rapport suggère aussi d’estomper les murs qui séparent trop souvent les disciplines.

    Le rapport insiste également sur l’aspect qui nous semble le plus important pour faire de cette métamorphose de l’École une réussite : la formation des professeurs. Pour le collège et le lycée, il rappelle la nécessité de développer un corps de professeurs d’informatique ayant reçu une formation solide dans la discipline, de niveau bac+5, car c’est le niveau requis en mathématiques, en physique, en anglais ou en latin. Le rapport propose des chiffres précis. Par exemple, enseigner l’informatique au collège demande 3500 postes. Et l’expérience a montré que l’on était bien loin de fournir un tel nombre d’enseignants en «  transformant » simplement des enseignants d’autres disciplines en informaticiens. Il est donc urgent  pour l’Éducation nationale de recruter des informaticiens.  Des pistes sont suggérées dans le rapport pour trouver les candidats dont notre système éducatif a besoin.

    Si l’enseignement de l’informatique est l’objet du premier chapitre, il est présent à plusieurs autres endroits du rapport. Il permet par exemple d’établir une littératie numérique sur des bases solides. Il se marie à l’enseignement des  humanités, pour construire le Bac Humanités numériques, etc. La proposition de ce Bac Humanités numériques va à l’encontre de l’idée reçue que l’informatique est une affaire qui   concerne uniquement les scientifiques, voire les ingénieurs. L’enseignement de l’informatique doit au contraire s’adresser à toutes et  tous, et peut-être au lycée, en priorité aux littéraires qui, plus que les autres élèves, risquent de rater leur dernière chance d’apprendre un peu d’informatique.

    Le CNNum s’est autosaisi de ce sujet de l’éducation au numérique. Il a longuement écouté des spécialistes de la question, beaucoup de professeurs et d’intervenants de l’éducation populaire. C’est ce long travail coopératif qui a abouti à ces propositions. Ces propositions ne constituent qu’un début, et gageons qu’on reprochera au CNNum de ne pas être allé assez loin. Mais ces propositions ont le mérite d’être réalisables à la rentrée prochaine.

    Ces propositions demanderont certes de l’énergie et on peut parier que la tâche paraîtra certainement insurmontable au Ministère de l’Éducation nationale. Elle le serait sans doute si ce ministère agissait seul, mais c’est un effort collectif qu’il s’agit d’organiser, avec les élèves qui jouent là leur avenir, les familles qui sont en demande,  les professeurs, sur les épaules desquels repose la responsabilité de la réussite de ce projet, les entreprises qui ont besoin d’employés compétents, et la société dans son ensemble, qui vivra plus harmonieusement avec des citoyens à même de comprendre le monde numérique dans lequel ils évoluent.

    Nous sommes tous concernés et c’est collectivement que le pays doit saisir cette occasion.

    Serge Abiteboul et Gilles Dowek

  • Les tablettes de la pédagogie ?

    Binaire reprend un article signé Colin de la Higuerra, paru aujourd’hui dans Slate: Les élèves français n’ont pas besoin d’une tablette à l’école, mais de véritables cours d’informatique.

    Il y a de meilleurs moyens de dépenser les fonds alloués au «grand plan numérique» promis par François Hollande.

    Le 2 septembre dernier, le président de la République lançait un «grand plan numérique» pour l’Éducation nationale. On peut imaginer qu’un «grand plan», sur un enjeu aussi crucial que celui de préparer l’entrée de la jeunesse dans le monde de demain, sera accompagné d’un budget conséquent, sans doute plusieurs milliards d’euros.

    Se pose alors la question de la meilleure manière d’employer cet argent pour préparer les élèves à devenir demain des citoyens éclairés et à trouver un travail. Or, lors du Petit Journal du 25 septembre, la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a notamment promis que les collégiens bénéficieraient d’une tablette afin d’alléger un cartable trop lourd:

    «À partir de la rentrée 2016, tous les collégiens [3,2 millions d’élèves environ, ndlr] –en l’occurrence, on commencera par les classes de 5e– auront et travailleront sur des tablettes numériques.»

    Pourtant, les élèves n’ont pas besoin d’une tablette supplémentaire mais d’un véritable enseignement de l’informatique, qui leur donne les clés pour comprendre le monde dans lequel ils vivent et vivront, comme celui que suivent, depuis plusieurs années déjà, leurs camarades bavarois, estoniens, israéliens, suisses, lituaniens, néerlandais, etc. C’est également ce que vont suivre leurs camarades anglais, finlandais ou coréens. C’est ce que recommande l’Académie des sciences, c’est ce que recommande la Société informatique de France, c’est ce que recommande le Conseil supérieur des programmes, c’est ce que recommande le Conseil national du numérique.

    S’il faut choisir entre dépenser l’argent pour l’équipement de tablettes ludiques ou pour former les enseignants et développer les outils logiciels nécessaires, une comparaison s’impose. La première proposition n’a été proposée par aucun analyste sérieux: dans les différents endroits où pareille mesure a été expérimentée, aucune évaluation documentée n’a jamais montré que son impact était positif autrement que pour l’économie des pays producteurs de ces équipements (groupe dans lequel il est difficile d’inclure la France, même si la ministre a affirmé sur Canal+ que le gouvernement aimerait «faire travailler des Français»).

    Pour offrir aux élèves un enseignement de qualité, la décision-clé est bien plutôt celle de former les enseignants dans le primaire et de recruter des enseignants dans le secondaire. 1 milliard d’euros par an, par exemple, c’est 25.000 professeurs d’informatique. C’est aussi dix millions d’heures de cours de formation continue et donc la possibilité de former à la fois les professeurs de primaire, ceux de collège, de lycée et même des classes préparatoires! C’est beaucoup plus qu’il n’en faut pour offrir un enseignement de qualité dans toutes les écoles, tous les collèges et tous les lycées français.

    Colin de la Higuera, Président de la Société Informatique de France

     

  • Françoise en Bavière

    Le sujet de la formation à l’informatique a été beaucoup débattu en France récemment. Mais en dehors de l’hexagone ? Se pose-t-on les mêmes questions ? D’autres pays auraient-ils eut l’audace de prendre de l’avance sur nous ? Binaire a proposé à Françoise Tort, chercheuse à l’ENS Cachan et co-responsable en France du concours CASTOR informatique, d’interroger des collègues à l’étranger. Leurs réponses apportent beaucoup à nos débats parfois trop franchouillards. 

     

    Tour d’horizon de l’enseignement de l’informatique… Aujourd’hui Françoise nous emmène en Bavière.

    photo 1Note sur le système scolaire bavarois : à la fin du primaire, à l’âge de 10-11 ans, les élèves bavarois s’orientent entre trois voies différentes : la Mittelschule ou la Hauptschule (école de formation professionnelle, surtout artisanale), la Realschule (équivalent du collège qui propose un diplôme de fin d’étude moyen) et le Gymnasium (équivalent du cursus collège + lycée général ou technologique en France). Environ un tiers des élèves d’une tranche d’âge vont au Gymnasium, sélectionnés sur leurs bons résultats à l’école primaire. Pour faciliter la lecture, nous utiliserons dans le texte les niveaux français.

     

    Peter HubwieserEntretien avec Peter Hubwieser professeur à la Technische Universität München (TUM), chercheur en didactique de l’Informatique, acteur majeur dans l’introduction de l’enseignement de l’informatique en Bavière.

     

    Plus de 1/3 des jeunes bavarois apprennent l’informatique dès l’âge de 11 ans.

    Depuis 2004, l’informatique est enseignée dans tous les collèges-lycées bavarois (que nous appelons Gymnasium). Tous les élèves de 6ème, 5ème ont des cours d’informatique obligatoires deux fois par semaine. Ensuite, les élèves qui poursuivent dans la filière « science et technologique », ont aussi un cours obligatoire, 2 fois par semaine, en  3ème et en 2nde. Enfin, un cours optionnel (3 séances par semaine) est proposé en 1ère puis en terminale, et ce dans toutes les filières. Depuis 2008, des cours d’informatique sont également proposés dans les écoles professionnelles. On peut donc dire que plus d’un tiers des élèves bavarois scolarisés dans le secondaire apprennent l’informatique dès l’âge de 11 ans.

    L’objectif général de cet enseignement n’est pas de former de futurs spécialistes de l’informatique ou de convaincre les jeunes de poursuivre des études supérieures dans ce domaine. Il s’agit d’aider les élèves à devenir des citoyens responsables et autonomes dans une société dominée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

    Le programme combine des méthodes pour penser et des outils pour appliquer

    J’ai contribué à l’écriture du programme d’enseignement. Ce programme vise à développer les compétences de traitement de l’information des élèves et à les aider à comprendre les structures de bases des systèmes informatiques qu’ils utilisent. L’originalité de notre approche est la place donnée à la modélisation : les élèves apprennent des technique de modélisation des objets et systèmes qu’ils utilisent, tout en mettant en œuvre leurs modèles à l’aide de logiciels et d’environnements de programmation. Par exemple, les premières années, les élèves apprennent à représenter les documents (textes, images, hypertextes, etc) qu’ils produisent avec des logiciels à l’aide des notions abstraites d’objets, attributs, méthodes et classes empruntées à la modélisation orientée objet développée dans les années 80-90 en génie logiciel. A la fin de la classe de 5ème, ils travaillent sur leurs premiers programmes, en utilisant un robot virtuel (le Robot Karel). En classe de 3ème, ils modélisent des problèmes réels, et implémentent leurs solutions avec des logiciels tableurs et des systèmes de gestion de bases de données. A partir de la 2nde, ils programment avec des langages objets (le plus souvent avec le langage Java). Enfin, en 1ère et terminale, ils abordent des concepts de domaines plus spécifiques comme le développement logiciel ou l’informatique théorique.

    Le projet, conçu dès 1994, a profité d’une importante réforme scolaire en 2004

    J’ai commencé à travailler à ce projet d’enseignement en 1994 à la faculté d’informatique de la TUM. Nous avons publié un premier projet de programme en 1997. A cette époque, le gouvernement fédéral lançait un programme expérimental de 3 ans visant à tester un projet de réforme des collèges-lycées bavarois. Un enseignement d’informatique mettant en œuvre notre proposition a été introduit dans cette expérimentation, dans une quarantaine d’établissements. Devant le succès rencontré auprès des élèves, des parents et des enseignants, le gouvernement a décidé, dès 2000, d’introduire cet enseignement dans la réforme. Ce fut effectif à la rentrée 2004 pour la classe de 6ème, puis chaque année suivante pour les autres niveaux.

    La formation a été anticipée pour avoir des enseignants diplômés dès le début

    Les enseignants bavarois ont tous deux disciplines (mathématique et physique par exemple). Ils ont une formation et un diplôme universitaire dans ces disciplines. Pour enseigner, ils passent deux certificats, l’un  disciplinaire, l’autre en pédagogie et psychologie.

    Ce qui a été exceptionnel, c’est que la formation des enseignants a été initiée bien avant que la création de l’enseignement ne soit décidée. Deux universités ont ouvert un programme de formation continue en deux ans, en 1995, suivi avec succès par une petite centaine d’étudiants. En 1997, l’enseignement universitaire a été officialisé, et a été suivi, de 2001 à 2006, d’un programme de formation, que j’ai initié et coordonné. Nous avons formé environ 300 enseignants dans 5 universités bavaroises. Depuis, un programme d’auto-formation est proposé, suivi par 80 enseignants. En parallèle, l’administration bavaroise a mis en place des actions de promotion pour inciter les détenteurs d’un Master en informatique à embrasser la profession d’enseignant. On peut estimer qu’il y a aujourd’hui, près de 1 300 enseignants d’informatique dans les collèges-lycées, et que parmi eux 800 sont diplômés en informatique.

    Les enseignant et les élèves sont plutôt satisfaits

    Nous avons réalisé une enquête auprès des enseignants en 2009. Ils se disaient plutôt motivés et satisfaits des cours et du programme. Nous leur avons demandé s’il y avait des écarts de réussite entre garçons et filles. Globalement, ils n’ont pas relevé de différence, sauf une baisse de performance des filles au niveau de la classe de 2nde. Toutefois, d’autres indicateurs sont plus faibles pour ce niveau, qui est l’année de l’introduction de la programmation objet. Il nous semble intéressant d’étudier cela d’un peu plus près.

    Une nouvelle réforme du système scolaire en perspective

    Le programme est en cours de révision.  Pour autant que je sache, il y aura des éléments supplémentaires sur la protection des données et la sécurité des données. Mais le plus important est qu’il y a, à l’heure actuelle, un débat sur le retour aux collèges-lycées en 9 ans (la réforme de 2003 avait réduit ce cursus à 8 années). Personne ne sait ce qu’il en résultera.


    Pour en savoir plus …

    1- Peter Hubwieser. 2012. Computer Science Education in Secondary Schools – The Introduction of a New Compulsory Subject. Trans. Comput. Educ. 12, 4, Article 16 (November 2012), 41 pages.

    2 – Peter Hubwieser. 2001. Didaktik der Informatik (en Allemand, Didactique de l’Informatique). Springer-Verlag, Berlin.

  • Informatique en primaire, comment faire ?

    Les ministres de l’éducation nationale changent, mais l’idée de commencer à initier à la programmation informatique en primaire, fait son bonhomme de chemin comme les questionnements qu’elle soulève. Martin Quinson, enseignant-chercheur en informatique, a proposé une analyse sur son blog : «Informatique en primaire, comment faire ?». Avec d’autres, nous avons trouvé son texte passionnant. Nous avons demandé une fiche de lecture à une enseignante, amie de Binaire.

    On parle donc de mettre en place des activités, destinées à enseigner l’informatique au plus grand nombre et au plus vite. Comment alors apporter des éléments de réponses aux nombreuses questions pratiques qui se posent, notamment sur ce qu’il convient d’enseigner, et sur la démarche à adopter ?

    Les objectifs pédagogiques

    ©letourabois.free.fr

    Il y a un terme fédérateur : celui de littératie numérique des enfants. En adaptant la définition de littératie donnée par l’OCDE, on peut parler de « l’aptitude à comprendre et à utiliser les technologies de l’information et de la communication dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités ».

    Comment faire alors en sorte que les enfants soient capables de faire un usage raisonné de l’informatique et des ordinateurs ? Si quelques idées sont disponibles dans ces propositions d’orientations générales pour un programme d’informatique à l’école primaire, d’autres éléments de réponse complètent cette vision :

    ©scratch.mit.edu

    Que les enfants soient capables de créer des petites choses sur ordinateur, comme ils sont capables d’écrire de petits textes ou faire des dessins à l’heure actuelle. Mais aussi qu’ils puissent créer leur propre carte de vœux animée pour la fête des mères, sans avoir à choisir parmi des cartes toutes faites sur http://www.dromadaire.com ou ailleurs, ou encore qu’ils soient capables de faire de petits dessins animés pour raconter des petites histoires, de complexité comparable aux rédactions qu’ils font déjà. Enfin, qu’ils puissent réaliser leurs propres petits jeux informatiques, qui auront le mérite d’être leurs propres créations même s’il ne s’agit pas de futurs blockbusters.

    Voilà qui est clair et proche du quotidien.

    Faut-il faire des « Coding Goûters » ?

    ©jecode.org

    Un « Coding Goûter » est une animation qui se déroule une demi-journée, où les enfants et leurs parents apprennent ensemble la programmation créative, avec des accompagnateurs, mais sans professeur. Ce format est particulièrement bien trouvé et des micro-formations pour aider les collègues qui voudraient se lancer sont proposées côté Inria. Cependant, la réponse est à nuancer, car ce format n’est pas généralisable, en l’état actuel, pour des activités récurrentes en milieu scolaire sans formation des enseignants. Voyons donc les autres possibilités d’animation.

    . . ou de la programmation créative ?

    Comme dit Claude Terosier de chez Magic Makers, il s’agit d’apprendre à coder pour apprendre à créer . Dans la même lignée, s’organise une activité pilote à la rentrée à la MJC Nomade de Vandœuvre-les-Nancy sur ce modèle. Leur club s’appelle Cod Cod Coding .

    ©codcodcoding

    L’un des points forts de l’outil le plus répandu Scratch, c’est sa communauté d’utilisateurs. De très bons pédagogues diffusent beaucoup de bonnes ressources, ce qui est pratique quand on débute. Cette communauté se réuni tous les deux ans, lors d’événements très enrichissants. On peut s’appuyer sur ce guide présentant dix séances clé en main, ou sur celui-ci, également bien fait. Et on trouve de bonnes ressources sur le wiki de http://jecode.org.

     

    Oser l’informatique débranchée

    ©csunplugged.org

    Comprendre comment est représentée l’information une fois numérique ou découvrir un algorithme ou ce que sont les algorithmes, c’est possible sans machine, sous forme de jeux, de devinette ou d’activité avec un crayon et un papier. Et c’est précieux : cela montre que c’est une façon de penser, pas que d’utiliser les machines. Cela permet aussi à ce qui ne raffolent pas de technologie de comprendre aussi. Faire à chaque séance un peu de débranché au début, un temps d’activités sur machine, avant un petit retour tous ensemble à la fin semble une excellente idée.

    Sans aller jusqu’à introduire la notion d’algorithme avant le premier passage sur machine, il est possible d’utiliser des activités débranchées pour expliquer ce que programmer veut dire. Cette activité semble particulièrement pertinente pour cela. Ensuite, si les enfants ont encore un peu de patience, vous pouvez enchaîner avec les activités débranchées mises au point avec Jean-Christophe Bach, ou d’autres activités débranchées existantes.(…)

    Mise en œuvre pédagogique.

    ©images.math.cnrs.fr

    Prenons l’exemple de l’enseignement de Scratch. On peut opter pour une approche traditionnelle avec un chapitre sur les variables, un chapitre sur les boucles, un autre sur les conditionnelles. Mais on peut aussi retourner le modèle, et commencer par faire un petit Angry Birds (en utilisant des conditionnelles sans s’en rendre compte, du moins jusqu’à la fin du chapitre où l’on verbalise la notion après usage), continuer par un casse brique (et utiliser des variables sans apprendre explicitement ce que c’est), puis un Pong (mettant du parallélisme en œuvre sans réaliser avoir besoin de le dire), etc. Voilà ce qui marche pour de vrai, avec les enfants du primaire. Et ensuite de montrer ce qu’on a découvert : les ingrédients de tous les algorithmes du monde.

    Comme support, on recommande ce livre. Il s’agit d’une bande dessinée racontant les aventures d’un chat et d’un étudiant en informatique. Au fil des 10 chapitres, on est amené à programmer des petits jeux pour « débloquer » l’aventure jusqu’au chapitre suivant. On apprend les bases de la programmation créative.

    Sinon, l’un des dix principes de « La main à la pâte » est de faire tenir un cahier de laboratoire aux enfants, où ils consignent leurs expériences et conclusions avec leurs mots à eux.

    Utilisation du matériel.

    Un ordinateur pour deux enfants suffit. La programmation en binôme est très efficace. Le plus important est de s’assurer que les rôles s’inversent régulièrement, et qu’aucun enfant ne monopolise la souris. Être deux par machine force les enfants à planifier leurs activités au lieu de se laisser porter par la souris, sans but précis.

    Et après ?

    Voilà donc l’état des réflexions. Mais on est  pas seuls: l’équipe invite à discuter tous ensemble au fur et à mesure des avancées sur ce qui fonctionne et les problèmes rencontrés. C’est aussi pour cela qu’elle a fondé http://jecode.org  : faire se rencontrer les volontaires souhaitant enseigner, informer à propos des lieux qui veulent organiser des ateliers, mettre en lien les acteurs qui désirent apprendre l’informatique. Inscrivez-vous sur la liste de diffusion pour échanger sur ces sujets.

    Alice Viéville.

     

  • Permis de vivre la ville

    logoPetite balade dans le 14e arrondissement parisien pour prendre un bain d’éducation populaire ; nous rendons visite à « Permis de Vivre la Ville ». L’association a été créée en 1987 sous le patronage de l’Abbé Pierre. Elle travaille depuis au cœur des quartiers en difficulté. Pourquoi cette association nous intéresse-t-elle tout particulièrement ? Ses projets conjuguent culture et informatique.

    L’ambiance est à la fois studieuse et détendue. Des jeunes s’activent sur leurs projets informatiques. D’habitude, c’est plus calme nous explique-t-on : les jeunes de l’autre lieu installé à Montreuil sont aussi par hasard présents. Ici, on ne se contente pas de répéter qu’il est des quartiers en grande difficulté. On retrousse ses manches et on change les choses.

    marcela Anne
    Marcela Perez, Permis de Vivre la Ville Anne Dhoquois, Banlieues créatives

    Un malstrom d’information tout en sourires est déversé par Anne Dhoquois et Marcela Perez. Banlieues créatives, Tremplin numérique… nous sommes vite perdus dans des structures, des projets, des sites Web. Cette association de terrain a longtemps été présente à Evry (Bois Sauvage) et Paris 17ème (Porte Pouchet) ; elle l’est toujours à Clichy-sous-Bois (Chêne pointu) et Antony (Noyer Doré), et vient d’ouvrir un second local à Montreuil. Ça bouge !

    tremplinDes jeunes du 92 et 93 dans les locaux parisiens © Tremplin numérique

    Au delà de la grande gentillesse qui se dégage de nos deux hôtesses, une impression forte de compétences. Ici on ne bricole pas. L’expérience, la connaissance des dossiers, un mélange détonnant avec une passion évidente pour l’ambition de participer à construire une ville plus humaine.

    lexik© Lexik des cités / collectif Permis de Vivre la Ville

    Nous pourrions raconter le Lexik des cités et le langage des jeunes du quartier (comme exercice, traduire : « Ma came a un bail et ses darons le savent pas ») mais nous allons plutôt parler d’un projet plus récent « Banlieues créatives ». Ce média web est l’occasion pour les jeunes de faire l’apprentissage du reportage, de l’interview, de la publication, de la parole publique, aux côtés d’une journaliste professionnelle. Le résultat se traduit dans un site Web. Celui-ci, truffé d’informations, d’interviews, de témoignages, est passionnant. Il décrit des expériences concrètes qui amènent à changer de regard sur les quartiers, sur le sens de la société, sur la dimension sociétale que peuvent prendre des  actions de terrain.
    Petite balade dans le 14e arrondissement parisien pour rendre visite à Permis de vivre la ville. On en ressort avec l’envie de ne plus subir le numérique, mais de le mettre au service de la société. Merci Marcela et Anne de nous avoir fait oublier quelques instants la morosité ambiante.

    Serge Abiteboul et Valérie Peugeot

    La carte de vœux numérique 2014 du 1er Ministre Jean-Marc Ayrault réalisé par les encadrants des jeunes de l’association

  • Le « grand plan numérique » du président : pour quoi faire ?

    Le numérique est déjà omniprésent dans nos maisons et au travail. On peut naturellement penser qu’il est temps que l’école en profite aussi. Mais en pratique, quels problèmes concrets pourraient être résolus par le « grand plan numérique » annoncé par François Hollande ? Claire Mathieu, Directrice de recherche CNRS, spécialiste en algorithmique, aborde le sujet. 

    D’une part, il y a les problèmes de communication dont voici quelques exemples.

    1. L’enfant n’a pas écrit quels devoirs il a à faire pour le lendemain. Les parents doivent téléphoner aux autres parents pour essayer de récupérer les informations. Solution : l’enseignant pourrait mettre la liste des devoirs à faire sur le site internet de l’école.
    2. L’enfant n’a pas rapporté son livre ou sa feuille d’exercices à la maison. Les parents doivent trouver une autre famille qui a le document nécessaire, et aller en catastrophe le leur emprunter. Solution : l’éditeur pourrait avoir une version numérique de son livre, accessible sur le site internet de l’école. L’enseignant pourrait télécharger sur le site web de l’école les documents supplémentaires.
    3. L’enfant ne fait pas signer le cahier de classe à ses parents. Solution : les résultats de l’enfant pourraient être accessibles à ses parents sur le site internet de l’école, et ceux-ci pourraient « signer » par internet.
    4. Les enseignants perdent du temps à rassembler autorisations pour les sorties, attestations d’assurance, et autres paperasses. Solution : ces attestations pourraient être téléchargées directement par les parents sur le site internet de l’école.
    5. On découvre en arrivant à l’école qu’il y a une grève ou qu’un enseignant est absent. Solution : afficher ces informations sur le site internet de l’école.
    6. Un enfant est malade. Solution : Les parents envoient la lettre prévenant qu’il est malade, directement sur le site internet de l’école. Ils se tiennent au courant de ce qui est enseigné grâce à ce site, afin que l’enfant rattrape son retard.

    D’autre part, il y a les problèmes dus à la diversité et aux limitations des uns et des autres.

    1. Certains n’apprennent pas à la même vitesse que les autres. Solution : s’il y avait au fond de la classe, dans le coin bibliothèque, quelques tablettes sécurisées avec des logiciels éducatifs associés aux manuels scolaires, l’enseignant pourrait demander aux enfants plus lents ou plus rapides de passer du temps à apprendre avec l’aide du logiciel.
    2. L’enseignant est censé apprendre aux enfants un large programme de sciences, d’histoire, d’art, etc., mais il y a des domaines auxquels il ne connaît pas grand-chose. Solution : il peut préparer son cours plus facilement avec des logiciels de cours sur internet préparés par les éditeurs de manuels scolaires.
    3. Il y a des moments dans la journée où l’attention baisse et où les enfants ont du mal à se concentrer. Solution : une activité supplémentaire pour laquelle les possibilités sont multipliées grâce à internet pourrait être de projeter un film documentaire. On n’est plus limité par la bibliothèque de films de l’école.
    4. Des enfants n’aiment pas l’école, s’ennuient, font des bêtises, dérangent la classe. Solution : les occuper à bon escient par des jeux éducatifs sur les tablettes.

    Il ne s’agit pas là de faire des changements fondamentaux, mais d’utiliser l’outil numérique pour faciliter le quotidien de manière très concrète.

    Que faut-il pour réaliser ces modestes objectifs ?

    • Du point de vue des ressources matérielles et logicielles, il faut qu’internet soit disponible, que les éditeurs aient une version numérique de leurs manuels scolaires avec logiciels associés, qu’un cadre existe pour créer des sites web scolaires faciles à consulter et à modifier, mais également sécurisés et protégeant les informations privées des élèves ; il faut aussi que les classes aient des tablettes ou portables qui soient protégés contre le vol et que leur maintenance soit assurée. Pour les familles qui n’ont pas internet chez elles, il faut absolument (c’est une question d’équité) que les parents puissent, à la mairie, à la bibliothèque municipale, ou dans un autre lieu, avoir accès au site internet de l’école.
    • Du point de vue des compétences, il faut que les enseignants sachent utiliser le site web de l’école, consulter les versions numériques des manuels, produire des contenus numériques. Il faut que les parents sachent communiquer avec l’école par l’intermédiaire du site web. Des formations sont pour cela nécessaires, pas très longues mais récurrentes puisque la question se repose chaque année.
    • Enfin, pour les réfractaires irréductibles, il faut un « pont » qui permette de continuer à recevoir les messages des parents comme avant tout en mettant à jour le dossier numérique de l’élève (grâce à un scanner par exemple), et qui permette aux parents de savoir quand même ce qui se passe à l’école par des moyens traditionnels (panneau d’affichage par exemple). Il faut donc prévoir de recruter le personnel adéquat pour ce travail supplémentaire, au moins pendant une période de transition de quelques années.

    Bien sûr, tout cela a un coût. Globalement il n’est pas clair que ce plan ferait gagner du temps aux enseignants, mais il permettrait d’améliorer la communication entre parents et enseignants, et d’améliorer l’apprentissage grâce à un enseignement plus personnalisé. Il est donc raisonnable de penser que la population est prête à ce qu’une fraction de ses impôts soit utilisée pour cela.

    Pour aller plus loin.

    L’introduction du numérique dans le quotidien de l’école ne serait qu’un premier pas. Une fois l’outil présent, on peut s’en servir avec plus d’ambition. Par exemple, les enfants pourraient écrire un journal de leur école, qui (avec une équipe motivée) pourrait être de qualité quasiment professionnelle. Pour les écoles jumelées, il y aurait des perspectives de collaborations nouvelles. Il pourrait être envisageable que les enfants malades, s’ils sont suffisamment en forme, suivent quand même la classe en même temps que les autres avec une « webcam ». Des exercices de style QCM, conçus par les éditeurs, pourraient être corrigés par ordinateur au lieu de faire intervenir l’enseignant. Pour les enfants souffrant d’un handicap, des possibilités nouvelles existeraient. Pour les enfants curieux de comprendre comment ça marche, il serait possible d’avoir un enseignement de l’informatique. Les MOOCs, FLOTs et autres cours en-ligne auraient une chance d’être intégrés à l’enseignement. Plus généralement, une fois les automatismes acquis pour exploiter l’outil informatique, il serait beaucoup plus facile ultérieurement de profiter des futures avancées, et cela permettrait à la France de participer plus pleinement à la révolution du numérique dans la société.

    Claire Mathieu, École Normale Supérieure  Paris, CNRS

  • L’informatique à l’école : un pas bien timide, mais un pas quand même

    Depuis quelques mois les appels à un enseignement de l’informatique dans les écoles et lycées se multipliaient, traduisant l’impatience tant de parents que de personnalités politiques, de scientifiques et de représentants du monde numérique. En annonçant dans le Journal du dimanche du 13 juillet 2014 qu’il favoriserait « en primaire une initiation au code informatique, de manière facultative et sur le temps périscolaire », Benoît Hamon a fait un pas – certes timide mais difficile car le sujet n’est toujours pas consensuel.

    A défaut d’être la réponse attendue, c’est un signal d’encouragement aux très nombreux enseignants qui innovent jour après jour, luttent contre le décrochage scolaire, en s’appuyant sur les pratiques numériques de leurs élèves pour motiver et former aux approches critiques, mais butent vite sur le manque de compétences informatiques, le leur et celui de leurs élèves. C’est aussi un signal d’encouragement aux très nombreuses associations et aux rares collectivités territoriales qui ont pris à leur charge la formation à l’informatique que l’école différait. Les uns et les autres ont compris que la culture numérique implique une initiation précoce à l’informatique et ne saurait se suffire des « usages ». Les uns et les autres savent que la transition numérique de notre société appelle ces savoirs et savoir-faire, pour de futurs citoyens créatifs, solidaires et lucides.

    La programmation encourage naturellement l’apprentissage par l’essai-erreur, le travail collaboratif. Elle place les élèves dans des attitudes actives, créatives, de partage et de contribution. Un projet mené à bien est un plaisir, une fierté. Cela explique ses succès auprès d’élèves décrocheurs. L’entrée du « code » à l’école doit être l’occasion de participer à la transformation de l’enseignement.
    Si la volonté d’opérer en douceur semble être de mise avec une amorce par le périscolaire, le choix du primaire comme point de départ peut aussi s’envisager comme l’opportunité d’un changement de fond, une occasion de convergence entre les professeurs des écoles et les acteurs de l’éducation populaire, de la médiation scientifique et numérique, de l’entrepreneuriat social, pour une école ouverte, reliée aux territoires. Reste à savoir l’exploiter. Cet appel au riche tissu de ressources territoriales implique une gestion de projet, qui va mobiliser les directeurs d’école. Il faudra travailler en réseau entre écoles et associations, proposer aux animateurs et éducateurs qui le souhaitent une certification ou une validation d’acquis, l’enjeu pour les élèves étant la base d’une véritable littératie numérique qui aidera les autres savoirs fondamentaux à se révéler.

    Le recours au périscolaire ne pourrait évidemment seul suffire. Un enseignement périscolaire se doit d’être créatif, expérimental, ludique, émancipateur, non-institutionnel. Il peut enrichir l’enseignement scolaire, participer à faire évoluer contenus et méthodes, à cultiver des compétences transversales. Il ne peut se substituer à l’école. Une approche basée purement sur le périscolaire ne touchera pas tous les enfants, engendrera des inégalités entre territoires ruraux et agglomérations, entre écoles « branchées » et les autres (même si de telles inégalités pourraient être atténuées par des politiques volontaristes couteuses). Enfin et surtout sans une l’implication active des professeurs des écoles eux-mêmes, l’apprentissage de l’informatique par les enfants restera isolé des autres enseignements et ne pourra pleinement réussir.

    C’est là qu’une autre mesure annoncée par Benoît Hamon prend toute son importance, et traduit une vision qui dépasse heureusement la délégation aux associations : l’entrée de son enseignement dans les ESPE (les Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education), dont la loi de refondation de l’école a fait le cœur de la transformation numérique de l’enseignement. Il faut avancer rapidement et résolument dans ce sens et accompagner cette mesure par un développement de la formation continue dans ce domaine pour toucher la plus grande partie des professeurs des écoles. La formation de l’ordre de 350 000 professeurs des écoles est un défi considérable, que la profession va devoir organiser. On voit bien qu’il ne s’agit pas seulement de former tous les professeurs « au code », mais de les engager dans la transformation de leurs disciplines et de leur pédagogie, reconfigurées par la « société numérique » et désormais imprégnées par les sciences et techniques informatiques.

    Il faut aussi répondre aux inquiétudes légitimes : il ne s’agit pas de former de la main-d’œuvre pour l’industrie du logiciel ; il ne s’agit pas d’appendre à coder pour coder ; il ne s’agit pas d’apprendre une nouvelle discipline abstraite ; il ne s’agit pas non plus d’une démission de l’école, d’une brèche dans laquelle s’engouffreraient les nouveaux acteurs industriels de l’éducation numérique pour se substituer à l’école.

    Il reste que la tâche est complexe. Il faudra les efforts de tous et une mobilisation très large pour que ce projet réussisse.

    Au-delà de l’école primaire, la déclaration de Benoît Hamon touche le collège et le lycée. Il choisit de s’appuyer d’abord sur les professeurs de mathématiques et de technologie. C’est à court terme une solution. Le vivier de tels professeurs volontaires pour enseigner l’informatique existe mais on atteint vite ses limites, quand cela ne participe pas à accentuer comme en mathématiques une pénurie endémique de tels enseignants. Il est urgent d’ouvrir les portes de l’éducation nationale à des enseignants dont l’informatique est la compétence principale. Le vivier naturel se trouve dans les licences et master d’informatique, et aussi dans les entreprises pour des ingénieurs qui souhaiteraient une reconversion. Sur ce sujet, nous attendons une véritable vision qui fasse bouger les lignes.

    Benoît Hamon présente un projet qu’il faut concrétiser et enrichir. Tout ne peut se résumer à une brève initiation au « code informatique ». Il ne suffit pas de savoir écrire des programmes dans un langage informatique quelconque pour, par exemple, comprendre comment fonctionne le moteur de recherche de Google, l’encryption dans un système de vote électronique, ou une base de données « dans les nuages ». Au-delà des seuls aspects scientifiques et techniques, l’enseignement de l’informatique représente le chemin de l’acquisition d’une véritable culture numérique par tous. La formation de ses enseignants en informatique et en culture numérique est la clé de la réussite.  C’est bien là une des ambitions que l’éducation nationale doit porter dans les années à venir.

    Serge Abiteboul et Sophie Pène, membres du Conseil national du numérique

    Sur le site du CNNum

  • Lev Manovitch à Place de la Toile

    Interview de Lev Manovitch par Claire Richard à Place de la Toile.  Lev Manovich est professeur d’informatique à l’Université de New York, spécialiste des médias et de la visualisation de data masse. Il est l’auteur de Le langage des nouveaux médias et  l’an dernier de Software takes command.

    Ce Place de la Toile est le dernier de la saison et le dernier de Xavier de la Porte. C’est l’occasion, comme auditeur assidu,  de remercier Xavier pour de très bons moments, des moments forts, des moments intelligents qui forçent à réfléchir.

    A la question « Est-ce qu’il est important de comprendre comment fonctionnent les algorithmes », Manovitch répond évidemment que oui, une évidence pour les lecteurs de Binaire. Mais il soulève un problème : « Notre société ne repose plus sur une constitution de quelques pages de textes mais sur des algorithmes de millions de lignes de code, et ce code on ne peut pas le consulter ». Pas cool !

    En une phrase, il rejoint deux sujets sur lequel je m’arrache la tête depuis deux ans :

    Bon sang mais c’est bien sûr, les deux sujets sont très liés ! Pour vivre honnêtement dans une société numérique, il faut être formé pour cela (l’informatique) et il faut que la société arrête de nous entuber (la neutralité). Pour ça et le reste, allez écouter Manovitch et son accent russe des plus sympas.

    Serge Abiteboul

     

  • Affelnet : de l’infinie souplesse du logiciel

    Un ami de Binaire, Marc Shapiro, nous écrit pour parler de l’infinie souplesse du logiciel. Il mentionne brièvement un autre problème qu’il nous faudra aussi aborder : Qui de nous ou de la machine décide ? A l’ère  des voitures sans chauffeur, des échanges boursiers automatisés et des des drones-bourreau, on ne peut éluder la question.

    Dans le Monde du 2 juillet : « A Paris, un logiciel pour favoriser la mixité scolaire ».  Un logiciel, Affelnet, aide à répartir les collégiens entre lycées : « chaque rectorat y a introduit des critères spécifiques, le transformant avec plus ou moins de pertinence en un outil au service de la politique rectorale. » Ainsi, l’académie de Paris a choisi des paramètres qui remontent les élèves défavorisés, permettant ainsi à un boursier d’intégrer un « bon » lycée devant un élève mieux noté ; alors que d’autres académies ont fait le choix contraire.

    Cela nous rappelle que ce n’est jamais « la machine qui décide » et que, quels que soient les choix qui sont faits, ce sont des humains qui en sont responsables en amont.  C’est très clair ici : différentes académies utilisent le même logiciel, en le paramétrant selon des politiques spécifiques.

    Espérons en outre que, dans les académies, on prend en compte aussi l’individu concerné, et qu’on n’utilise pas le résultat du calcul comme un alibi ; mais ceci est une autre histoire…

    Pour en revenir à nos moutons, ce cas illustre aussi l’infinie souplesse du logiciel.  Tout logiciel un peu évolué regorge de paramètres que l’on peut varier, afin de modifier son comportement.  Si l’on en croit la description d’Affelnet dans le Monde, le responsable d’une académie peut, sans difficulté, changer le poids relatif des notes de troisième d’une part, et de divers indicateurs comme le statut de boursier ou l’adresse d’autre part.  Augmenter le poids des notes favorisera statistiquement les élèves ayant bénéficié jusque-là de bonnes conditions de scolarité.

    On peut aussi modifier le l’algorithme de calcul lui-même, afin par exemple de prendre en compte de nouvelles données (disons, la distance entre le domicile et le lycée ; ou bien, soyons fous : les souhaits de l’intéressé).  Chaque nouvelle « version » de logiciel incorpore un grand nombre de telles améliorations.

    Cette infinie souplesse va de pair avec une infinie complexité.  Les paramètres d’un gros logiciel sont nombreux, souvent difficiles d’accès, et presque toujours mal compris.  Le logiciel est infiniment souple, mais savoir le concevoir, le réaliser, le maintenir et modifier est un métier.  Cela demande méthode et rigueur, et la capacité de savoir passer du général (la spécification, ou ce à quoi le logiciel va servir) au particulier (le codage, ou mise en œuvre détaillée) et vice-versa (comment telle modification locale impactera l’ensemble).

    Enfin, cet exemple illustre parfaitement la distinction entre « mécanisme » et « politique ».  On attend d’un logiciel qu’il soit un outil générique pouvant être mis au service d’objectifs variés.  Dans le cas d’Affelnet, le « mécanisme », c’est l’aide à la décision de répartition des élèves ; la « politique », le choix d’un ensemble de paramètres. Cette distinction est un des apports fondamentaux de l’informatique.

    Marc Shapiro, Directeur de recherche Inria et membre du Lip6

  • Pièges à MOOC

    Il y a deux ans le New York Times faisait sa une sur « l’année du MOOC » (Massive Open Online Course). Des journalistes enthousiastes expliquaient le plus sérieusement du monde que le « FLOT » (Formation en Ligne Ouverte à Tous)  allait permettre de diffuser les meilleurs cours sur Internet, instruire l’humanité,  pour enfin sortir la majorité de la population mondiale de la pauvreté. Véritable révolution de l’enseignement ? Excès d’optimisme ? Binaire a demandé à un ami, Rachid Guerraoui, de nous expliquer ce qu’il en est.

    Cette époque coïncidait avec la mise en ligne de certains cours auxquels des milliers d’étudiants s’inscrivaient  partout dans le monde: le cours de Thrun à Stanford avec près de 150.000 inscrits, le cours de Guttag au MIT avec plus de 70.000 inscrits, le cours d’Odersky de l’EPFL avec plus de 50.000 inscrits, etc. Aucun de ces professeurs ne pourrait jamais espérer atteindre autant d’élèves dans sa carrière, même en se réincarnant plusieurs fois. La progression du nombre d’inscrits à de tels cours, plus fulgurante que celle de Facebook, laissait présager aux MOOCs un avenir des plus radieux.

    Il a fallu malheureusement un peu déchanter. On s’est rendu compte qu’une grande majorité d’inscrits abandonnait : jusqu’à 95%. Ceux qui restaient étaient pour la plupart très instruits et possédaient déjà des diplômes et un travail. Autrement dit, les MOOCs fonctionnent bien pour la formation professionnelle mais ne semblent pas toujours   adaptés aux jeunes élèves scolarisés. Aujourd’hui des médias parlent de la désillusion de l’enseignement numérique. Il y a plusieurs raisons à cela. En voici cinq.  Il s’agît de pièges dans lesquels sont tombés plusieurs projets. Ces pièges sont sournois car il partent à chaque fois  d’un constat tout à fait juste pour en déduire une conclusion parfois idéalisée, souvent hâtive, et qui peut signifier l’abandon à terme du projet.

    RachidRachid Guerraoui @Rachid

    Le terme « enseignement »

    Le constat de départ ici est que l’enseignement dans plusieurs parties du monde, y compris dans certaines régions de pays dits riches,  est dans un état catastrophique, mais qu’à l’inverse, Internet se propage de manière prodigieuse partout dans le monde. Rien de plus naturel alors que d’essayer de prendre l’enseignement là où il est le meilleur et d’utiliser Internet pour le diffuser le plus largement possible. On parle alors d’enseignement numérique.  Cela sous-entend (1) la conception d’un enseignement sous une forme numérique appelé contenu – typiquement la vidéo d’un professeur donnant un cours et   (2) la diffusion de ce contenu à travers un support de diffusion du numérique – typiquement Internet.

    Les élèves suivraient les cours sur Internet. On parle parfois de « flipping classes » dans le sens ou les élèves apprendraient les concepts « at-home »  pour venir en classe faire leur « home-work ». L’enseignement s’en trouverait complètement changé. Mais l’Histoire nous a démontré que l’enseignement traverse toutes les révolutions, techniques ou technologiques, sans changer radicalement. On a radicalement modifié au fil du temps notre manière de voyager, de se soigner, de faire du commerce, de s’amuser, mais pas d’enseigner.

    Depuis la nuit des temps, les professeurs debout s’agitent à quelques mètres de leurs élèves pour capter leur attention et les empêcher de s’endormir. On a pensé que l’écriture allait fondamentalement changer cela.  On s’est  trompé. Même le grand Socrate qui avait peur que ses classes soient désertées à cause de l’utilisation de l’écriture s’est trompé.  On a pensé que l’imprimerie allait changer cela et qu’avec les livres, les élèves n’auraient plus besoin de venir en classe. On s’est trompé. On pense que le numérique va finalement changer cela. On se trompe.  Tout comme les inventions de l’écriture et de l’imprimerie ont servi d’appoints (considérables) à l’enseignement, mais sans le changer radicalement, le numérique ne sera aussi qu’un appoint. Un appoint important, certes, mais seulement un appoint. Il faudrait idéalement parler d’appoint numérique de l’enseignement plutôt que d’enseignement numérique. Rien ne remplacera la présence physique du professeur si le but est de transmettre du savoir à de jeunes élèves.

    Le pouvoir du numérique

    Le numérique permet de réaliser des choses étonnantes et la progression des possibilités de l’informatique graphique semble exponentielle. Pourquoi devrions-on nous nous en priver dans l’enseignement pour produire du contenu éducatif ? Pourquoi ne pas profiter de ces progrès technologiques pour enseigner le théorème de Thalès avec une animation de Spider Man et le théorème de Pythagore à travers une course de Robben ?

    Cela coûte néanmoins cher : à produire et à visualiser. Quand bien même les moyens d’acheter le matériel et le logiciel adéquats sont disponibles à un instant donné pour une production graphique sophistiquée, le passage à l’échelle peut s’avérer impossible. Les temps de montage sont énormes et les enseignants se retrouvent à perdre du temps sur autre chose que ce qu’ils savent faire : bien expliquer des concepts. Cela peut s’avérer d’autant plus inutile que l’élève du fin fond de l’Afrique ne dispose ni de la bande passante ni de la qualité graphique pour profiter de ces prouesses graphiques. On a vu plusieurs projets  d’enseignement numérique démarrer en force avec des moyens technologiques faramineux pour s’essouffler quelques mois plus tard.

    En fait, en investissant dans des moyens technologiques, on oublie souvent que le plus important est ailleurs : c’est le contenu.  Pour promouvoir un contenu de qualité, pouvoir le changer facilement et l’adapter à différentes situations, le logiciel et le matériel doivent être minimalistes. Rien par ailleurs n’a été inventé de mieux pour l’enseignement que le tableau noir et la craie. Ne pas être capable d’enseigner quelque chose de manière simple signifie souvent que nous ne l’avons pas bien compris, disait Einstein.

    L’élitisme a priori

    On part ici du constat que le contenu est crucial, pour en déduire qu’il faut passer par une étape de concertation, voire de certification a priori. Après tout, on ne peut pas mettre n’importe quoi à la disposition de millions d’élèves. Dans la pratique, un tel souci d’élitisme s’est traduit par la composition d’un comité d’experts censé évaluer le projet de création d’un contenu. Si le contenu est jugé inadapté, ou redondant avec un contenu existant, le comité d’experts le rejette ou suggère des modifications.  Or, on le ne dit  jamais assez,  la meilleure manière de faire capoter un projet est de le confier à un comité d’experts.

    Comme rappelé ci-dessus, il est évident que le contenu est la ressource la plus importante dans un enseignement numérique. Mais il faut avant tout qu’il y en ait. Or la difficulté est de motiver les enseignants. Au delà des stars d’un domaine, comme celles citées ci-dessus et qui désirent souvent atteindre un grand nombre d’élèves pour prêcher leur bonne parole, un professeur anonyme ne trouve pas toujours la motivation nécessaire à un travail de numérisation de son enseignement. Rajouter un obstacle de certification a priori s’avère souvent rédhibitoire.

    Il est important d’encourager les bons enseignants à numériser leur savoir. Mais une fois qu’un enseignant est convaincu de la pertinence d’un tel projet, il est tout aussi important de le laisser tranquille sur le choix de son contenu. Au bout du compte, le meilleur filtre est l’élève à l’autre bout d’Internet. Le numérique permet de comparer les taux d’accès et de rétention du contenu numérique. Si une vidéo expliquant le théorème Bolzano Weierstrass par le principe du « soleil levant »  à la craie et au tableau noir est suivie par des milliers de personnes, alors on peut juger qu’elle atteint son objectif. Autrement dit, l’élitisme est inévitable, mais il se fait naturellement a posteriori.

    L’exhaustivité

    Il existe aujourd’hui des cours classiques complets dans quasiment tous les domaines. Certains cours ont fait leur preuve depuis de nombreuses années. Ils suivent des séquences très spécifiques qui permettent à l’élève de comprendre de manière progressive sans sauter d’étape importante. Partant de cela, on se dit qu’il faut donc suivre la même voie pour le numérique : préparer et numériser des cours entiers, couvrant tous les aspects importants d’un domaine, avant de les mettre en ligne. Pour caricaturer, cela signifie qu’avant de concevoir un contenu numérique sur la résolution des équations du troisième degré, il faut l’avoir fait pour des équations du second degré.

    L’expérience a montré qu’à part pour des profils très spécifiques de personnes, des cours numériques complets sont jugés trop lourds par de jeunes élèves. Même quand ils s’inscrivent et suivent les premières étapes, ils abandonnent dans la majorité des cas. Par ailleurs, s’imposer une forme d’exhaustivité dans la génération d’un contenu numérique tend à annihiler les possibilités de co-création (wiki) et s’avère dans la pratique tout aussi rédhibitoire qu’un comité d’experts complexés. L’erreur encore une fois ici est de penser l’enseignement numérique comme un substitut de l’enseignement classique, soumis aux mêmes contraintes.

    Souvent, ce que  les élèves cherchent sont des appoints concis leur rappelant tel ou tel concept la veille d’un examen, ou leur donnant une idée sur une matière avant qu’ils ne puissent faire un choix d’orientation. Il est non seulement important que ces appoints soient brefs, mais qu’ils renvoient le moins possible vers d’autres contenus. Rien n’empêche d’avoir un contenu numérique spécifique pour ceux qui désirent une explication concernant la résolution d’équations du troisième degré : si aucun contenu n’est (encore) disponible pour expliquer la résolution  pour le second degré, tant pis. Le mieux est souvent l’ennemi du bien.

    La personnalisation

    Le désir de personnalisation part du constat que les élèves n’avancent pas tous au même rythme. Il serait souhaitable d’adapter l’offre numérique à chaque cas particulier. Idéalement, l’enseignement numérique permettrait de jouer le rôle du professeur privé au service de l’élève.

    Plus concrètement, une série de tests permettrait d’avoir une idée sur le niveau de l’élève et de lui proposer un contenu qui a été jugé adapté par des élèves du même niveau. L’élève pourrait lui aussi poser des questions et avoir un soutien personnalisé qui adapterait le contenu à la progression de l’élève. Techniquement, cela n’est pas impossible. Dans la pratique, cela ne fonctionne que rarement, pour les raisons indiquées ci-dessus : impatience des élèves, bande passante inadaptée, mauvais matériel de réception, difficulté de mobiliser les enseignants pendant de longues périodes d’enregistrement, etc.

    Encore une fois, la personnalisation est certes un objectif louable, mais essayer de le mettre en œuvre par la technologie peut devenir un frein à la diffusion du savoir. La personnalisation se fait naturellement par les élèves eux-mêmes : ils décident par exemple de quand ils vont voir des vidéos, combien de fois et dans quel ordre.

    watermark-youtubeL’expérience Wandida (*) @Wandida

    Nous nous sommes lancés à l’EPFL dans une expérience pragmatique  d’appoint à l’enseignement numérique en essayant d’éviter les pièges ci-dessus. Le schéma est celui de wikipédia : des vidéos atomiques expliquant des concepts de manière concise sont mises en accès libre sur Internet. Une simple recherche par mot-clé permet d’y accéder directement et gratuitement. Aucun test ou mot de passe n’est requis. Le modèle utilisé pour la conception des vidéos est celui de la craie et du tableau noir. L’enseignant n’est impliqué que dans la phase d’enregistrement du contenu : jamais dans le montage. Il est accompagné d’un ingénieur qui permet de souligner les incohérences lors de l’enregistrement et de minimiser les modifications a posteriori. La durée moyenne d’une vidéo est de 6mn : le temps maximal de concentration d’un jeune élève. L’ambition n’est pas de remplacer l’enseignement, mais de se concentrer sur les concepts difficiles d’une matière. La bibliothèque Wandida comporte déjà aujourd’hui près de 200 vidéos d’informatique, de mathématiques et de physique.

    Rachid Guerraoui, Professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne

    (*) Le terme wandida désigne dans l’Atlas marocain le papier glacé, utilisé par les bouchers pour envelopper leur viande et par les épiciers pour envelopper leur beurre: pour les élèves de classe modeste, c’était le seul papier brouillon disponible. Le projet wandida, initié à l’EPFL, est ouvert à d’autres partenaires.

     

  • Le samouraï de Villeneuve la Garenne

    Quand j’ai visité Simplon, je suis resté sur ma faim. Je n’avais pas assez causé avec les élèves. Alors j’ai contacté Rodolphe (Rodolphe Duterval) et lui ai proposé de le retrouver pour un verre. C’est un élève de la première promo de Simplon.co à Montreuil… Un élève un peu particulier : je vais plus parler de lui comme enseignant que comme élève. Mais après tout, le brouillage du fossé entre élèves et enseignants, n’est-ce pas aussi un aspect de Simplon ?

    rodolpheRodolphe © Nicolas Friess

    Rodolphe est particulier parce qu’il a déjà suivi 4 ans d’une école d’ingénieur avant de laisser tomber pour atterrir à Simplon, confronté à la difficulté de trouver un stage, attiré par l’esprit entrepreneurial. Donc, contrairement à la plupart des autres, il ne part pas de zéro en informatique. Comme il s’accaparait Ruby on Rail plus vite que ses potes, les profs de Simplon lui ont proposé comme stage de partir évangéliser Villeneuve la Garenne.

    Rodolphe s’est dit : j’aime enseigner ; je vais peut-être me découvrir une vocation. Pourquoi pas ?

    vlgla cité de La Noue à Villeneuve la Garenne  © Nicolas Friess

    La destinée: la cité de La Noue a été originellement conçue par son architecte sur le modèle… d’un micro-processeur !

    Le cadre de l’insertion à VlG
    Les élèves sont une quinzaine pour suivre une formation rémunérée de six mois de développeur informatique. Ils ont entre 19 et 25 ans, « plus ou moins » le niveau bac, et niveau 0 en informatique. (Merci l’éducation nationale ; il est commun en France en 2014 de quitter l’éducation gratuite, laïque et obligatoire sans rien savoir en informatique.). Ses élèves sont pour certains décrocheurs ; ils cherchent tous vaguement leur voie – traduire, ils galèrent. Une association spécialisée dans l’économie sociale et solidaire, Pôle Solidaire, les a pris en contrat d’avenir, et fournit la salle. Les machines viennent de Simplon – c’est de la récup d’un labo pharmaceutique. Elles tournent Linux et rien d’autre : Rodolphe n’est-il pas ici pour évangéliser ?

    1404_simplon__NFR0387Photo d’élèves peut-être en cours © Nicolas Friess

    La pédagogie
    On se débarrasse vite fait des concepts et « vas-y ! ». Le plus difficile est de les garder concentrés. Et pour ça, il faut qu’ils fassent. Ils aiment aussi les belles histoires et Rodolphe est le king du story telling : « Si tu as une bonne idée, et si tu as la technique, tu peux devenir le roi du couscous ; C’est l’histoire d’un jeune Bill Gates qui passait tout son temps sur les ordinateurs, séchait les cours, avait des tas de problèmes à l’école…».  Les problèmes à l’école, ils connaissent. Avec Rodolphe, ils découvrent l’ordinateur. Et il ne leur vent pas du rêve. Lui ne peut que leur amener la technique ; il faut qu’ils bossent dur s’ils veulent réussir. Alors ils bossent.
    C’est plus la motivation que les neurones qui risque de manquer. Mais, alors que les 6 mois touchent à leur fin, tout va bien. Ils ont bien eu un peu de problème avec l’anglais, mais l’ambiance est au beau fixe, l’absentéisme anormalement faible (ce que l’on remarque souvent dans ce genre de formations). Pire, le soir, ils n’arrivent pas à se décoller du clavier. La programmation, c’est addictif ? Très probablement.
    En tous cas, ils ont progressé plus vite que prévu. Ils bossent sur de vrais projets de sites Web, pour des associations locales. Oui ! Ils y arrivent !

    Les débouchés visés
    Il faut qu’à la fin des six mois, ils soient « employables » comme « opérateur système ». Rodolphe reconnaît que ça ne veut pas dire grand-chose. Ils sauront faire un site Web et filer un coup de main aux handicapés de l’ordinateur et d’Internet (ça, ça ne manque pas). Ils seront à l’aise avec un clavier et un programme ; ils pourront tenir des jobs de médiateur numérique, de référant digital. Ils pourront être utiles dans des petites entreprises ou des associations. Et parmi eux, certains, les plus tenaces, les plus brillants deviendront de vrais développeurs. Tous auront changé.


    Nous sommes une communauté de lutteurs, samouraïs, Maitres de l’air, et les codeurs de sumo.
    Nous devenons meilleurs en programmation information en résolvant des problèmes @codersumo

    Et Rodolphe ?
    Il aime partager ce qu’il a appris, donc le job d’enseignant lui plait bien. Mais il aimerait aussi être plus créatif. Il a l’ambition de devenir un de ces supers développeurs, un vrai, de cette aristocratie qui savent faire naitre des programmes, complexes, beaux, novateurs. Alors, en attendant, il lit, il apprend, et il fait des katas sur codersumo.com. Et si vous avez un truc sympa à lui proposer, envoyez le à binaire qui fera suivre.

    Serge Abiteboul

  • Mon pote le robot

    Parlons de la découverte de la robotique à l’école primaire, quand la recherche se met au service de l’éducation. Didier Roy est un professeur de mathématiques du XXIe siècle. Il enseigne les sciences du numérique. Accueilli comme chercheur en optimisation et personnalisation des apprentissages au sein d’une équipe de recherche en robotique d’Inria Bordeaux Sud-Ouest, Flowers, son travail* fait de la robotique un outil d’éveil scientifique.

    Entrez avec nous dans la salle de classe.

    Nous sommes un mardi. Il est 15h45. Cet après-midi de printemps est radieux. Il doit être génial de jouer dehors. Pourtant, Lola, Safina et Oscar n’ont pas l’intention de sortir tout de suite de la salle de classe.

    Posé sur la table devant eux, un étrange objet** fait d’étranges choses. Il avance, tourne à gauche, à droite, recule, jette des éclairs de lumière verte, bleue ou rouge, émet des petits sons graves ou aigus, court ou longs.

    robot-thymio-2« C’est n’importe quoi », pense Oscar. Quarante secondes plus tard, il se demande s’il n’y a pas quelque chose à comprendre là-dedans. D’accord, mais quoi ? Au bout de 10 minutes, la petite équipe perce une première épaisseur de mystère : en appuyant sur les boutons on peut changer ce que fait le machin sur la table, on peut choisir son comportement.
    Quand il émet une couleur verte, il a aussi tendance à suivre un objet qui est devant lui, à être « amical ». « D’accord pour amical. On pourrait même dire collant ! » remarque Safina.

    Quand la couleur est rouge, impossible de l’approcher, il fuit sans arrêt. Ça doit être le mode « trouillard » dit Lola en rigolant.

    Pour le comportement bleu, c’est plus compliqué. On a beau avoir 8 ans, on ne sait pas tout.

    — Peut-être qu’il faut lui chanter quelque chose ? avance Safina.
    — Ou lui dire un mot spécial, ou lui tirer la langue ! répond Oscar en faisant des gestes. Comment on peut savoir ?
    — Ben, en réfléchissant et en essayant, à mon avis. Faisons une liste de ce qu’on pense, dit Lola.

    Les voilà d’accord. Une liste des catégories de choses à tester est commencée. La méthode prend forme, ils commencent à tester des mots, puis des gestes, mais le champ des possibilités est tellement vaste… Ils cherchent d’autres pistes, si possible offrant moins d’aléatoire. Il leur semble avoir (presque) tout essayé quand Safina se rappelle qu’on leur a aussi donné des trucs en même temps que le machin. Des cubes, des petites quilles et une feuille avec une espèce de circuit tracé en noir. Elle pose le robot sur le circuit. Et là, devant leurs yeux écarquillés, le machin se met à suivre la ligne noire en se balançant tout au long, comme un chien qui suit une piste le museau collé au sol. « Trop fort, le machin ! »

    Il faut maintenant franchir le deuxième cercle de mystère. Comment fonctionnent les comportements ? Par exemple, l’« amical ». Les enfants tombent d’accord en moins de deux minutes. Sur le devant du machin se trouvent comme de toutes petites fenêtres, qui détectent s’il y a un objet. S’il y en a un, il avance, s’il n’y a en a pas, il ne fait rien.

    Ça marche avec toutes les fenêtres ou pas ? Avec des objets différents ? Afin d’en savoir plus, on discute et s’accorde sur une série de tests à faire, un seul doigt devant une seule fenêtre, deux doigts devant deux fenêtres… À l’issue de l’expérience, c’est clair : n’importe quel nombre de n’importe quels objets devant n’importe quel nombre de n’importe quelles fenêtres fait avancer le robot !

    — Je le savais depuis le début, fanfaronne Oscar.
    — Peut-être bien que t’es trop fort mais là au moins on en est sûr que ça marche comme ça, lui rétorque Safina, légèrement agacée.

    Trois quarts d’heure plus tard, après avoir réalisé les autres activités données par l’animateur, Lola, Safina et Oscar rentrent chez eux avec des choses nouvelles à raconter à la maison. On leur a donné un machin dont ils ont essayé de comprendre le fonctionnement. Pour eux, c’est maintenant clair : dans le machin, il y a des capteurs qui permettent de détecter des choses, un petit ordinateur pour décider quoi en faire et des actionneurs pour faire ce qui a été décidé : rouler, tourner, faire de la lumière, faire du bruit.

    Ah ! Le machin ? il s’appelle un « robot ». Et son petit nom est Thymio 2.

    — Moi, quand je serai grande, je veux être roboticienne, c’est sûr ! lance Lola à ses parents, surpris de cet intérêt soudain pour les sciences.

    Vivement mardi prochain : on va apprendre à faire des programmes pour le robot !

    Quels sont les objectifs d’un tel enseignement de la robotique ?

    La robotique propose un micro-monde d’apprentissage, intégré, coopératif, motivant, ludique et riche. On y aborde naturellement une démarche scientifique en identifiant et définissant des problèmes, en formulant des hypothèses, en expérimentant, en analysant, en argumentant.

    La robotique s’inscrit dans le champ des sciences du numérique et de l’informatique, domaine essentiel pour des jeunes habiles avec les objets numériques qui leur sont familiers mais ayant également besoin de s’approprier des concepts qu’ils ne connaissent pas encore, afin de les dominer pour en tirer le meilleur.

    Contribuer à la promotion et à la démocratisation de ces sciences est par ailleurs fondamental, pour plus tard, quand ils devront vivre dans un monde où l’innovation prend une importance croissante dans l’activité économique, et dans le développement humain.

    On peut résumer ces objectifs dans cette table :

    Objectifs éducatifs
    Objectifs institutionnels
    • Développer des compétences en informatique et en robotique.
    • Amplifier le plaisir d’apprendre.
    • Apprendre à travailler en équipe autour de projets.
    • Apprendre une démarche scientifique.
    • Développer la créativité.
    • Promouvoir les filières de formation scientifique et technologique.
    • Enseigner les sciences du XXIe siècle liées au numérique.
    • Promouvoir l’égalité des chances notament en luttant contre le décrochage scolaire.

    L’évaluation de ces objectifs est un enjeu crucial, que nous ne développerons pas ici. Décrivons simplement les outils que nous utilisons, pour donner un aperçu de ce volet du travail qui prend aussi la forme d’un travail de recherche en didactique de l’informatique :

    Une évaluation des compétences des élèves
    • Un portfolio numérique par équipe avec compte-rendu de missions, petits reportages, textes, photos, vidéos, … Carnet de voyage.
    • Une présentation du portfolio devant les autres équipes.
    • Une observation par l’adulte accompagnateur.
    • Des QCM de connaissances.
    Une évaluation de l’enseignement
    • Des indicateurs :
      • Connaissances en informatique et en robotique.
      • Plaisir d’apprendre.
      • Qualité du travail en équipe.
      • Rigueur, méthode.
    • Des outils d’évaluation :
      • Questionnaire élèves en fin d’année.
      • Analyse des résultats aux tests de connaissance.
      • Analyse des observations durant les séances.
      • Analyse des portfolios et des présentations orales.

    Conclusion : un levier pour l’égalité des chances.

    L’initiation à la robotique contribue à la lutte contre l’échec scolaire. Elle suscite une pédagogie de projet, change le cadre d’enseignement en le rendant plus souple, moins stigmatisant, particulièrement pour les élèves en difficulté. Sa démarche de recherche active, son ouverture au débat, sont autant d’atouts pour faciliter l’expression d’élèves en rupture d’un cadre scolaire traditionnel et qui leur est mal adapté.

    La robotique n’est pas la seule à proposer un cadre facilitateur de progrès mais celui-ci y trouve là facilement sa place, par la nature même des activités proposées.

    Nous observons une appétence de la part des jeunes filles pour la robotique. Une porte d’entrée supplémentaire vers les sciences, particulièrement du numérique, domaine où on les voit peu à peu prendre leur place (46 % des participants au concours Castor Informatique et plus de la moitié des lycéen-ne-s inscrit-e-s en spécialité Informatique et Sciences du Numérique (ISN) de Terminale S sont des filles). Une tendance à conforter.

    À travers la robotique, il est légitime de travailler différentes disciplines, notamment le français et les maths, disciplines qui prennent tout leur sens pour exprimer ou comprendre. L’aspect tangible est également un atout pour amplifier ce sens. Et la composante ludique, facteur de plaisir d’apprendre, ne fait que renforcer une autre vision de l’apprentissage, moins rigide et davantage portée vers la valorisation des individus en situation de recherche.

    Cet enseignement de la robotique, et plus largement de l’informatique, est devenu indispensable dans une société où le numérique est à la fois si présent et si peu compris, où la technologie sépare les humains en deux catégories ; celles et ceux qui l’utilisent en en connaissant les bénéfices mais également les pièges, qui saisissent les fondements essentiels de la pensée informatique. Et les autres. La première catégorie doit croître aussi rapidement qu’il est possible, pour assurer un usage maîtrisé et sécurisé des technologies du numérique, si l’on veut veiller à ce que personne ne soit mis de côté et encore moins esclave d’un monde qu’il ne comprendrait plus.

    Didier Roy.

    (*) Le module est en cours de finalisation (disponible sous forme open source à la mi-juin). Rendez-vous sur le site dédié à la médiation de la robotique, « Dessine-moi un robot ».

    (**) Le thymio-2, créé par l’EPFL, est un formidable robot pour l’éducation (en savoir plus).

  • Tim Berners-Lee @ Futur en Seine

    Tim Berners-Lee, l’inventeur du web, interviendra à Futur en Seine le 13 juin à 16h pour partager les défis du Web pour les 25 prochaines années.

    Tim Berners-LeeTim Berners-Lee @Wikipedia

    Plus d’info

    La conférence sera suivie d’une table ronde animée par Jean-François Abramatic (Inria), avec la participation de Valérie Peugeot, (Orange Labs, Conseil National du Numérique, Vecam), Henri Verdier (Etalab) et Fabien Gandon (Inria, W3C).

    Binaire reviendra bientôt plus en détail sur cette personnalité essentielle pour l’informatique.

  • Beau comme un algorithme

    Pour célébrer la publication des ebooks « The Art of Computer Programming (TAOCP) » (L’Art de la programmation informatique), informit a demandé à plusieurs personnes de poser chacune une question à l’auteur Donald E. Knuth. Don est une légende vivante de l’informatique. Binaire publie la traduction d’une question, et de sa réponse. Nous vous encourageons à aller lire les autres.

    Dennis Shasha : Comment se compare un bel algorithme à un beau théorème ? En d’autres termes, quels seraient vos critères de beauté pour chacun des cas ?

    Don Knuth : La beauté a de nombreuses facettes, bien sûr, et reste dans l’œil du croyant. Je trouve certains théorèmes et algorithmes beaux parce qu’ils ont de nombreuses applications différentes ; d’autres me plaisent parce qu’ils réussissent des trucs si puissants avec des ressources extrêmement limitées ; d’autres parce qu’ils impliquent des motifs esthétiques ; d’autres enfin parce qu’ils ont une pureté de concept véritablement poétique.

    Par exemple, je peux parler de l’algorithme de Tarjan  pour les composantes fortement connexes. Les structures de données que Tarjan a conçues pour résoudre ce problème se combinent d’une manière étonnamment belle, de sorte que les quantités que vous avez besoin de considérer dans l’exploration d’un graphe orienté sont comme par magie à votre portée. Et, en passant, son algorithme réalise aussi le tri topologique.

    On arrive aussi parfois à prouver un beau théorème en présentant un bel algorithme. Regardez, par exemple, le Théorème 5.1.4D ou le Corollaire 7H dans mon livre, TAOCP.

    Et, pour conclure, une citation de Don :

    « Science is what we understand well enough to explain to a computer.
    Art is everything else we do. »

    La science est ce que nous comprenons assez bien pour l’expliquer à un ordinateur.
    L’art, c’est tout ce que nous faisons d’autre.

  • Journées pédagogiques : Informatique et MOOC

    https://www.flickr.com/photos/92641139@N03/
    https://www.flickr.com/photos/92641139@N03/

    Les 23 et 24 juin prochain, la SIF (Société informatique de France), le CNAM, le CNRS, Inria, l’Institut Mines-Télécom, et le Groupe thématique Logiciel Libre de Systematic Paris-Region organisent les journées pédagogiques sur l’Informatique et les MOOC. 

    Ces journées permettront dans un premier temps de découvrir les MOOC, Massive Open Online Courses, ces cours en ligne interactifs, gratuits, et ouverts à tous. Au delà de cet état de l’art, ces journées proposeront de réfléchir aux relations particulières entre l’informatique en tant que discipline et les MOOC.

    Des intervenants de différents horizons (académiques, associatifs, enseignants) aborderont des sujets liés au métier d’enseignant et/ou chercheur :

    • les MOOC qui enseignent l’informatique,
    • les MOOC dans/pour la formation des enseignants de l’informatique,
    • le renouveau de l’enseignement (de l’informatique) avec les MOOC,
    • ressources libres et ouvertes pour les MOOC
    • technologies et recherche en informatique autour des MOOC.

    En avril dernier, Jean-Marie Gilliot publiait sur binaire un article intitulé « Moi je mooc, et vous ? » qui nous permettait de faire un tour d’horizon de ces fameux Cours en Ligne Ouverts et Massifs (CLOM étant la traduction française de Massive Open Online Course). Jean-Marie Gilliot concluait son article par ces mots :

    « L’homme est un animal social. L’appétence pour les échanges entre pairs montrent bien que l’on apprend en enseignant. Et pour rester pertinent en tant qu’enseignant, on n’arrête jamais d’apprendre, donc de contribuer. »

    Nous vous invitons donc à relire l’intégralité de son article et à vous inscrire rapidement à ces journées pédagogiques afin de partager avec lui et d’autres sur les enjeux liés à l’informatique et au MOOC.

    Site des journées pédagogiques : Informatique et MOOC
    Inscription obligatoire avant le 14 juin : formulaire en ligne
    Et n’hésitez pas à soutenir la SIF en y adhérant

    Marie-Agnès Enard

     

  • Analepse et prolepse pour une science du numérique à l’École

    L’informatique doit-elle rester un simple outil à l’École? Faut-il ou pas apprendre à « coder » et « programmer » à l’École ?  Ces questions qui divisent, Binaire les a posées à Michèle Drechsler. Nous imaginons avec elle ce que l’informatique et la programmation pourraient apporter à l’École. Un exemple : l’expérience de la programmation permet de montrer aux élèves que les erreurs peuvent être riches d’enseignement.

    Étant donné la densité des programmes en vigueur, l’intégration de l’enseignement de l’informatique à l’École pourrait-elle se faire au détriment de priorités actuelles ? Quel serait son impact sur l’égalité des chances et la réussite de tous élèves ? A ce propos, il est intéressant de procéder à une analepse pour poser le focus sur cet enseignement à l’école, il y a presque 20 ans, et d’imaginer une prolepse pour réfléchir à l’intégration d’un tel enseignement à l’école maintenant.

    Analepse pour l’informatique

    Si la question se pose actuellement et déclenche de nombreux débats à l’ère du B2I (brevet Internet et informatique), il faut se rappeler que l’informatique était  introduit dans les programmes scolaires  comme nous le montre ce tableau récapitulatif des programmes avant 2008.

    MicheleDreshlerProgramme
    Synthèse proposée au colloque Eprep 2008.

    Actuellement, les élèves du primaire et du collège doivent acquérir des compétences et des connaissances dans de nombreux domaines avec l’arrivée du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Depuis 1996, nous pouvons noter qu’aucune réforme des programmes n’a modifié en profondeur cette répartition des responsabilités entre « objet d’enseignement » et « outil » d’enseignement dans le domaine de l’informatique.

    Un curriculum pour développer  une culture numérique  ?

    Apprendre à l’heure du numérique, c’est acquérir à la fois la culture numérique et la maîtrise  des outils numériques. «Ce sont les deux facettes indissociables d’une évolution qui affecte l’ensemble de la société, mais semble peiner paradoxalement à toucher l’école», comme le précise le rapport Fourgous de 2012. La question fondamentale que nous devons nous poser est de savoir si, de nos jours,  les élèves ont besoin de développer des compétences dans le domaine des sciences du numérique. Le programme de physique-chimie des collégiens actuel ne fait pas référence à une science du numérique en tant que telle même s’il s’appuie sur des sciences dites «  d’observation, d’expérimentation et technologies ». Au cycle central, dans le programme de technologie,  les activités proposées doivent faciliter notamment l’appropriation du troisième domaine du B2i : « créer, produire, traiter, exploiter des données » à travers la programmation et la modélisation,  mais les notions  relatives aux sciences du numérique ne sont pas approchées d’une façon  spécifique  et progressive tout au long de la scolarité du collège et de l’école primaire (voir par exemple le programme du collège). Les programmes du collège prévoient des notions à construire autour de l’électricité, l’astronomie, avec « les mouvements de la Terre, de la Lune, des planètes qui donnent une première structuration de l’espace et du temps, introduisent l’idée qu’un modèle peut fournir une certaine représentation de la réalité ». Pourquoi ne pourrait-on pas prévoir aussi des modèles équivalents, une construction progressive des connaissances relatives au monde du numérique qui, de nos jours est omniprésent dans notre vie quotidienne, chez soi ou dans le monde du travail ?  Il est important de pouvoir donner des « clés » pour mieux appréhender le monde du numérique et  comme je le précisais déjà dans un article du Monde de l’éducation de mars 2008 et en attendant la mise en place des « nouveaux programmes » 2008 de l’époque :  « Il est nécessaire d’avoir un lieu de réflexion, d’abstraction, par rapport à une pratique quotidienne. Il ne doit pas se réduire à un cours dénué de sens. Il doit y avoir un va-et-vient entre les usages dans chaque discipline et cet enseignement plus général car usages et études de l’objet sont indissociables si on veut agir et comprendre les phénomènes, ou les fonctionnements comme pour la maîtrise de la langue.»

    Tout l’art de la pédagogie est de construire des notions et des concepts avec progression «en perçant les boîtes noires» à bon escient et en proposant des situations appropriées.  Il nous faudrait définir une «grammaire» de l’informatique permettant la construction progressive des concepts qui sont associés comme nous le faisons bien pour la grammaire, les notions de respiration, d’énergie … .  Un  curriculum  pourrait prévoir des situations, des  projets numériques permettant aux élèves de développer des formes d’activité dans le domaine des sciences du numérique et de construire progressivement les notions et compétences à maîtriser. À ce propos, beaucoup de pays s’y intéressent en Europe. Un groupe de travail Informatics-Europe et ACM-Europe a rédigé un rapport commun sur l’enseignement de l’informatique dans le primaire et le secondaire : « Informatics education: Europe cannot afford to miss the boat, avril 2013. » (Parmi les membres du groupe de travail : Gérard Berry du Collège de France,  Antoine Petit d’Inria et Michèle Drechsler). Ce rapport, basé sur une analyse de la situation actuelle et des expériences dans de nombreux pays, identifie les problèmes et propose des recommandations opérationnelles (schéma directeur) pour les décideurs politiques. Il établit une distinction entre la «culture numérique» (digital literacy) et la science informatique (computer science). Tous les citoyens devant être formés aux deux. Ce rapport nous donne des  recommandations et nous rappelle que «littératie numérique» et science informatique sont indispensables comme composantes d’une éducation du 21ème siècle, avec le développement d’une culture du numérique dès l’école primaire. L’incapacité à le reconnaître peut nuire gravement à l’avenir de l’Europe qui doit former non pas que de simples « consommateurs » de technologie.

    Programmation à l’école

    La programmation a des effets bénéfiques sur les  apprentissages comme nous le montrent les travaux menés en robotique dans une classe de CE2-CM1-CM2 en 1989. De ce fait, elle a toute sa place à l’école. À travers ce projet, nous approchons le concept d’information et de fonction à partir de situations de «robotique». Les élèves découvrent que l’ordinateur ne peut rien faire si on ne lui donne pas tous les «ordres» à partir d’un langage. À travers ces projets de robotique, nous arrivons à un premier niveau de formulation du concept d’information qui, exprimé par les élèves, est assez proche de la définition simple qu’en donne J. De Rosnay :  «l’information est le contenu d’un message qui déclenche une action». Dans le cadre de projets de robotique avec une interface Légo au CE2-CM1-CM2 (voir «Analepse et prolepse pour une informatique retrouvée ?» pour les détails), nous avons des outils pédagogiques motivants entre les mains des élèves.

    MicheleDreshlerRobotique
    Activités de programmation pour commander des feux. (Projet C.A.F.I.P.E.M.F. Drechsler), 1989
    MicheleDreshlerFeux
    Activités de programmation pour commander des feux. (Projet C.A.F.I.P.E.M.F. Drechsler), 1989

    Les élèves de CE2-CM1-CM2 ont pu également visiter une ferme robotisée près de l’école et comprendre le dispositif «des vaches branchées» à un ordinateur. Ils ont réalisé un reportage (voir la vidéo : « vaches branchées à un ordinateur ») en situation. Quelques représentations des élèves sont disponibles en ligne.

    Une réhabilitation de l’erreur au centre du processus d’apprentissage

    Les activités de programmation invitent les élèves à réfléchir sur leurs erreurs, face à une situation donnée en fonction du problème posé. C’est la machine qui donne un retour à  l’élève lui permettant d’analyser les traces de ses erreurs et comme nous le montre le constructivisme, l’erreur n’est plus considérée comme une simple déficience de l’élève comme dans le modèle transmissif. Elle est placée au cœur du processus d’apprentissage. Giordan nous rappelle que l’enseignant doit d’abord faire émerger les conceptions des élèves pour ensuite, lorsque certaines de celles-ci s’avèrent inexactes, convaincre les élèves qu’ils se trompent ou que leurs conceptions sont limitées. Apprendre consiste donc d’abord à «s’apercevoir que ses savoirs sont peu ou pas adéquats pour traiter une situation et ensuite à dépasser ses conceptions initiales pour progresser vers des connaissances plus pertinentes». Les activités de programmation rentrent bien dans cette définition qui situe clairement l’apprentissage dans une perspective cognitiviste en soulignant le rôle des conceptions antérieures et plus particulièrement des conceptions erronées. La prise en compte des erreurs en  est une des clés.

    L’ordinateur : des objets pour penser avec, des instruments pour réfléchir

    Margarida Romeo dans son article « métacognition et environnement informatique d’apprentissage humain » nous montre que dans un environnement où l’apprenant se retrouve seul face à la machine, par exemple à l’ordinateur, le besoin «métacognitif» devient d’une grande importance. En fait, les élèves peuvent réfléchir sur leurs procédures de pensée, revenir sur les traces de leurs programmes et comprendre leurs erreurs. Papert impressionné par la façon de Piaget de «considérer les enfants comme des constructeurs actifs de leurs propres structures intellectuelles» avait déjà développé cette  vision dans son livre, «Le jaillissement de l’esprit» :

    «Ma vision est celle d’une culture informatique particulière, une culture mathématique , autrement dit, une culture qui n’aide pas seulement à apprendre, mais à apprendre pour l’apprentissage. Il  nous a montré que le travail sur l’ordinateur peut faciliter l’accès à la notion de « mode de pensées », ce qu’il appelle le « style of thinking ». L’informatique permet donc de construire des univers dans lesquels un enfant peut par un comportement actif et constructif acquérir des méthodes d’analyse et de résolution de problèmes» et comme il nous le précise : «Penser sur sa pensée c’est devenir épistémologue, c’est entrer dans une étude critique de sa propre réflexion. Une expérience que bien des adultes ne vivent jamais !»

    Pour  Loarer, «Il est important que l’école développe une éducation cognitive qui peut être définie comme la recherche explicite, dans la mise en œuvre d’une démarche de formation, de l’amélioration du fonctionnement intellectuel des personnes».  Les outils cognitifs via l’ordinateur et les activités de programmation sont des instruments qui peuvent médiatiser des apprentissages métacognitifs pour lesquelles les erreurs sont au centre.  Proposer des activités de programmation aux élèves,  c’est aussi leur donner la  liberté d’explorer les coulisses derrière l’interface des systèmes de jeu.  C’est l’occasion de découvrir et comprendre la source du jeu, de montrer que l’on peut créer ce que l’on veut au-delà de l’interface, en programmant. Les ordinateurs peuvent être considérés comme de véritables machines à apprendre, de «véritables machines à représenter, à nous représenter nous-mêmes». Ils deviennent l’outil cognitif par excellence. Ils  agissent comme un amplificateur pour l’exploration de l’esprit humain dans tous les dédales de ses erreurs. Ils sont une des clés pour mettre en une véritable éducation cognitive à l’école.

    Des langages ou des logiciels dès l’École primaire.

    Si Logo a été très utilisé depuis les années 80, le logiciel Scratch est un  environnement de programmation visuel et multimédia  destiné à la réalisation et à la diffusion de séquences animées sonorisées ou non. Il s’agit d’un logiciel de programmation grâce auquel les élèves peuvent animer des objets qu’ils auront préalablement choisis, ou eux-mêmes dessinés. L’intégration de Scratch peut se faire rapidement au premier cycle du primaire permettant ainsi aux élèves de développer rapidement l’apprentissage de la programmation. L’élève peut ainsi suivre des procédures simples comme mettre en place un décor, prévoir des personnages, concevoir des «sprites » (lutins animés), utiliser les briques ou « kits »  de commandes toutes prêtes pour programmer. Le principe est donc comme un légo, de briques que l’on monte et que l’on  démonte, selon son projet à réaliser.

    L’élève peut trouver la  liberté de faire des erreurs autant qu’il veut pour mener son projet à bien. Comme le précise une enseignante québecoise, Martine Trudel : «Terrain de jeu illimité afin d’amener nos élèves à problématiser, à raisonner à l’aide du langage mathématique et à mettre en œuvre leur pensée créatrice, Scratch captive les élèves… Plus ils progressent, plus ils sont motivés à relever des défis plus élevés. C’est merveilleux de voir tous les élèves persévérer malgré les difficultés rencontrées…»

    Conclusion

    À l’heure de la société de la connaissances où il est important que chaque citoyen ne soit pas un simple consommateur de technologie, nous avons des défis à relever autour des sciences du numérique et de l’informatique qui devraient avoir la même place que les sciences de la vie et de la Terre dans la formation d’un individu. Qu’en sera-t-il des nouveaux programmes pour la construction des notions pour une culture du numérique autour d’une sciences du numérique  ? Dépasseront-ils les simples compétences du B2I d’utilisation de l’informatique ? Sauront-ils intégrer des notions ou des connaissances à construire progressivement, en s’appuyant sur une « grammaire informatique » en interaction avec l’environnement, pour développer chez les élèves, des aptitudes à décrypter les enjeux des applications informatiques dans la société et utiliser le numérique d’une façon raisonnée ?  L’école saura-t-elle intégrer des logiciels comme Scratch, des logiciels pour apprendre à programmer, créer des objets numériques et qui facilitent le développement d’objectifs métacognitifs, un tiercé gagnant pour «apprendre à apprendre», une clé pour la réussite scolaire ?

    Michèle Drechsler

    Pour en savoir plus

    sur l’auteure

    Dessus, P, Erreur et apprentissage, 2006

    Papert, S. Jaillissement de l’esprit, (Ordinateurs et apprentissage), Flammarion 1981

    Giordan, A. Apprendre ! Paris: Belin (1998)

    Linard, M. — Des machines et des hommes : apprendre avec les nouvelles technologies, Jacquinot Geneviève   Revue française de pédagogie     Année   1992   Volume   99   Numéro   99   pp. 131-133

    Loarer, E. (1998). L’éducation cognitive : modèle et méthodes pour apprendre à penser. Revue Française de Pédagogie, 122, 121-161.

    Dreschler, M. 2008 : Analepse et prolepse pour une informatique retrouvée ? Intervention au colloque ePrep

     

  • Les mots pour le dire : D comme décoder.

    A ? comme Algorithme !

    B ? comme … ah ben comme Binaire, pardi.

    C ? comme … Codage

    et D ?

    D ? … comme Décoder le Codage.

     «Décoder le Codage ?» Cela veut dire très simplement comprendre comment marchent ces machines (ces robots/ordinateurs/tablettes/…) que l’on dit programmables.

    Gérard Berry nous l’explique brièvement de manière lumineuse en reprenant la belle métaphore de Maurice Nivat sur Outils, machines et informatique. Et si nous prenions un peu plus de temps pour comprendre et …

    … allons dans une cuisine. Faire un quatre-quart à l’orange. Oui c’est facile : on prend de la farine, des œufs, du beurre et du sucre, à parts égales, on ajoute le parfum d’orange et on met au four une demi-heure. Bien. Même un informaticien saura faire ça.

    Mais que se passe-t-il si nous introduisons cette recette dans un ordinateur ou un robot… enfin une machine quoi ?1395178658_cake_7 Et bien il ferait exactement ce que nous lui avons commandé. Il mélangerait la farine, les œufs, le beu… Ah ! Les œufs : avec les coquilles, personne ne lui a dit de les retirer. Les humain-e-s savent ce qu’est un œuf, ce mot a du sens pour eux, elles ou ils comprennent le contexte dans lequel on parle. Mais une machine, voyons ? Quelle chance aurait-elle de savoir que (contrairement aux batailles d’œufs dans les cantines de potaches) on doit d’abord se débarrasser de la coquille ? De plus, bien plus précisément qu’un humain, le gâteau sera mis au four 30 minutes, 0 seconde, 0 dixième, … sans allumer le four. Puisque cela n’a pas été dit explicitement.

    En bref : un ordinateur ou un robot, … c’est « très con ». 1395178709_kcronCe mot d’argot de la langue française ne dit pas que le sujet est « sans intelligence » mais qu’il agit sans discernement, sans comprendre le contexte, sans dévier ce qui reste implicite. De l’intelligence mécanique quoi ! Et non pas je ne sais quelle « intelligence artificielle » (qui dans l’imaginaire collectif renvoie à la science-fiction).

    Alors à quoi bon détailler tout cela ? Cela aide à comprendre quelle est la différence entre mon intelligence et celle d’une machine. La machine « calcule de manière fabuleusement rapide et efficace mais reste totalement dénuée de pensée ». Qui ne comprend pas la différence entre l’intelligence mécanique et l’intelligence humaine, ne sait pas se positionner correctement par rapport à ces systèmes numériques. Et alors, très naturellement, ces objets virtuels sont personnifiés, vus comme magiques, donc nous dominent.

    Bien, voilà un point d’acquis. Et pour comprendre le codage alors ?

    Retournons dans notre cuisine, et pour apprendre à programmer, mettons-nous à deux.

    Gnirut, un monstre codeur - © S. Auvin
    Gnirut, un monstre codeur – © S. Auvin

    L’un va faire le robot (donc exécuter ce qu’on lui demande de la manière la plus mécanique possible), et l’autre va lui faire faire correctement la recette. Si vous faites cela il va se passer quatre choses amusantes.

     1/ Vous allez lui donner la recette à exécuter dans ses moindres détails, pas à pas, sous forme d’une séquence d’instructions élémentaires que la mécanique du robot peut exécuter au niveau de ses mécanismes physiques (ce sera « avancer de trois pas dans la cuisine », « tendre le bras », « prendre le paquet de farine blanc dans le placard » … (qui sait ce qu’est un « paquet de farine » sans en avoir jamais vu ?).

    2/ Et… que faire si il n’y a pas de beurre ? Disons : prendre de la margarine, pardi, sinon arrêter avant que ce soit un massacre. Tiens… ce n’est plus tout à fait une simple séquence, il y a aussi des tests (« si pas de beurre alors margarine… »)

    Et voilà que notre « intelligence mécanique » qui se réduit à faire tester une condition binaire, puis, selon qu’elle est vraie ou fausse, exécuter une séquence d’instructions ou une autre.

    3/ Bien. Voilà le robot en train de faire un quatre-quart à l’orange. Et pour le quatre-quart au citron ? Dois-je lui répéter toute la recette ou simplement lui dire… à la place de l’orange tu mets du citron ? Ou du chocolat ! Bref, voilà l’automate capable de faire tous les quatre-quarts du monde. Il sait faire un quatre-quart à « X ». Où X est une variable dont le nom est « parfum du gâteau » et dont la valeur est « orange » ou « citron »…

    Une variable c’est donc une boîte avec une étiquette (son nom) et dans laquelle on met une valeur. Grâce aux variables on peut programmer « tous les quatre-quarts du monde », de même que sur notre machine à laver, la température de l’eau correspond à la variable qui permet de laver tout le linge de la maison.

    4/ Nous y sommes presque. Pour faire 50 quatre-quarts pour la fête des voisins, je peux recopier la recette 50 fois pour mon robot. Ou mieux, faire une « boucle » : de 1 à 50 fait un quatre-quart, fait un quatre-quart…

    D’ailleurs nous avons un peu menti : on ne met pas vraiment le gâteau au four une demi-heure, mais dix minutes, on plante un couteau dedans et si le couteau ressort mouillé, on refait cuire dix minutes. C’est donc une boucle (« tant que le couteau ressort mouillé fait cuire dix minutes ») qui gère la cuisson du gâteau. Et si le four n’a pas été allumé, la semaine suivante le robot est toujours là à planter un couteau dans un gâteau pas cuit et surtout immangeable.

    Eh bien, à ce stade il y a un résultat énorme à partager.

    © Dessin : Paul Gendrot
    © Dessin : Paul Gendrot

    Si un ordinateur, un robot… enfin quoi, une machine, peut exécuter ces ingrédients des algorithmes alors elle peut faire TOUS les programmes d’informatique du monde !! Il n’y a pas un seul logiciel, algorithme du Web, programme de robot… qui ne se décompose pas en ces ingrédients. C’est ça l’intelligence mécanique. C’est une machine qui va pouvoir exécuter un algorithme qui a été exprimé dans un langage qui permet de traiter de l’information.

    Cela veut dire que mon smartphone, le processeur de ma machine à laver, le plus grand ordinateur au monde ou ma calculatrice programmable ont la même intelligence mécanique (donc sont tout aussi « con »). Bien entendu il y en a des plus ou moins rapides, efficaces, agréables à utiliser… Mais qualitativement, leurs capacités calculatoires (on va dire « computationnelles » en franglais) sont équivalentes : on peut coder des algorithmes dessus.

    C’est ce résultat monumental (on parle de la Thèse de Church-Turing) qui a fondé les sciences informatiques et permis au monde de passer de l’ère industrielle à l’âge numérique. Ne pas savoir, ne pas comprendre ça, c’est se priver du levier primal pour maîtriser cet univers qui est le nôtre aujourd’hui.

    Oui mais concrètement… Comment apprendre cette notion de codage à nos enfants ? Voici ici des éléments pour répondre à leur question « Dis maman (ou papa), c’est quoi un algorithme dans ce monde numérique ?
 »

    Et au-delà ? Comment avec tout ça peut-on coder et traiter de l’information par exemple ?

    … c’est une autre histoire de notre A.B.C. : À bientôt sur Binaire pour en Causer.

    Thierry Viéville.

  • Les mots pour le dire : C comme codage.

    A ? comme Algorithme !

    C’est ce concept (il est facile de savoir de quoi il s’agit) dont nous avons besoin pour comprendre le numérique : cet objet abstrait qui fait que les machines calculent de manière fabuleusement rapide et efficace mais restent totalement dénuées de pensées. Nous en reparlerons plus tard.

    B ? comme … ah ben comme Binaire, pardi.

    C ? comme …

    … comme Codage.

    « Codage ? » Oui, le reflet numérique des objets de notre vie.

    Codons d’abord un atome d’information : « oui ou non ». 1395177108_atomAh ben oui, répondre par oui ou par non, c’est bien donner une information, non ? En fait, c’est donner une information minimale, binaire. Disons : un 0 pour oui et 1 pour non. Ou l’inverse, mais surtout mettons-nous d’accord ! Et si quelqu’un fait moins que binaire (répond toujours 0 ou toujours oui), on ne risque pas d’apprendre quelque chose !

    Ce qui est amusant, par exemple quand on « joue au portrait », c’est que rien qu’en répondant oui ou non… on va pouvoir deviner y compris un personnage très très inattendu ou compliqué.

    En fait, c’est tout à fait sérieux : regardons quelles informations numériques peuvent se coder en binaire.

    Par exemple les nombres décimaux comme nous l’explique Sylvie ici ou http://interstices.info plus complètement ici.

    Et puis les lettres aussi, 1395177216_binarypar exemple disons 00000 pour A, 00001 pour B, 00010 pour C, et si vous continuez ainsi tout l’alphabet, donc tous les mots, tous les textes se retrouvent codés. C’est le «00001 00000 000010000» (euh pardon le «B.A.-BA») du codage ça.

    Et puis les images dont les pixels peuvent devenir des nombres, codés en binaire, et puis les sons dont chaque échantillon devient un nombre numérique, donc les vidéos et tout le multimédia.

    Et puis nos données : notre identité civile, et au-delà nos qualités, nos goûts : pour chaque item, on convient de standardiser les valeurs à donner à une variable qui spécifie une partie de ces données. 1395177264_022Par exemple pour la couleur des yeux on convient de dire : «bleu», «brun», «noir» ou «vert», au risque de biaiser le codage de la couleur chatoyante d’un regard mordoré.

     Oh, excusez-moi, je viens de recevoir un SMS :

    Cher Client,
    Avant l’informatisation de nos services, vous n’étiez pour nous qu’un simple numéro. Désormais, vous êtes beaucoup plus : vous êtes 11 digits, 14 caractères alpha-numériques, 25 items à choix multiples et 13 autres numéros…

    Ah. Bon, c’est clair. On peut coder beaucoup de choses, mais pas forcément toutes choses humaines.

    Toutes les données et informations formalisables ont donc un reflet numérique.1395177307_package_games_kids Bien faire comprendre cette idée à nos enfants leur donne une des clés de l’éducation au numérique. Cette éducation qui doit leur permettre de ne pas uniquement consommer les objets numériques, mais surtout les maîtriser afin de construire à leur tour les objets numériques ou les usages qui leur sied.

    Concrètement… Comment apprendre cette notion de codage à nos enfants ? Voici ici des éléments pour répondre à leur question « Dis maman (ou papa), mais comment sont codés les objets numériques ? »

    Nous voilà donc en train de concrétiser cette idée, souvent bien vague, que « les objets sont codés en binaire dans les ordinateurs ». On voit que ce codage est un choix, une convention entre les individus, exactement comme le langage. Ce qui est intéressant pour l’enfant de tout âge, c’est que cela aide à faire la différence entre le réel et le virtuel. Le codage d’un son ou d’une scène visuelle n’est que le reflet numérique de cet objet réel. Il y a le « S » que je dessine avec de la peinture, il est fait de matière. Il y a ensuite le codage du « S », ce paquet de 0 et de 1, qui ne représente le « S » que parce qu’on le veut bien.

    Ensuite, le fait que nos données (textes, sons, images…) soient devenus numériques permet de traiter l’information qu’elles contiennent avec des fonctions « universelles » : mémoriser, transmettre, dupliquer, compresser, crypter nos données se font avec des mécanismes similaires quels que soient leur nature. C’est un bouleversement par rapport au temps où la musique était sur des disques vinyles et les photos sur des plaques argentiques, comme nous l’explique Gérard Berry dans sa belle conférence.

    Le codage, bien entendu, au-delà des objets statiques (de nos données donc), concerne aussi des objets dynamiques (de la programmation donc) des actions, des événements, et…

    … c’est une autre histoire de notre A.B.C. : À bientôt sur Binaire pour en Causer.

    Thierry Viéville.

  • Moi je mooc, et vous?

    Le MOOC en 4 lettres

    MOOC est donc un acronyme anglais (« Massive Open Online Course ») qui a fait la une de nombreux journaux. Sa traduction en français CLOM, pour Cours en Ligne Ouvert et Massif, n’est pas forcément beaucoup plus explicite. Détaillons quelque peu.

    Il s’agit donc d’un Cours, au sens universitaire, avec un début, une fin, une équipe d’enseignants qui accompagne les étudiants, une acquisition de connaissances et des activités qui permettent d’appliquer ces nouvelles connaissances.

    Ce cours est en Ligne et Ouvert, ce qui signifie que n’importe quel internaute intéressé peut s’inscrire, et devenir — plutôt qu’un étudiant — un participant à ce cours.

    L’attribut Massif est ainsi une conséquence de cette ouverture puisque, si la communication et le bouche à oreille fonctionnent bien, plusieurs milliers, voire dizaines ou centaines de milliers, d’internautes peuvent s’y inscrire. Mais au-delà des chiffres, c’est bien une expérience nouvelle qui est proposée aux participants des MOOC. Tout comme le caractère Massif de certains jeux en ligne (comme le célèbre World of Warcraft) permet de nouveaux comportements des joueurs, comme l’entraide, l’émulation, la constitution d’équipes, voire de guildes. Tout comme les réseaux sociaux ont révolutionné les prises de contact, les relations entre personnes et aussi la manière de recommander l’information, donc la connaissance. Cette dimension sociale de l’apprentissage permet bien de développer une entraide qui permet à certains d’apprendre mieux en aidant leurs pairs, en questionnant de manière plus libre, ou de résoudre ensemble une énigme (pardon, je voulais dire un exercice, un problème, un projet) qui permettra à chacun de progresser dans ses apprentissages.

    Creative Commons  https://www.flickr.com/photos/marinashemesh/
    Creative Commons
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    Rien ne change, et tout change

    Rien ne change, puisqu’il s’agit d’un cours en ligne, ce qui se fait depuis des années, avec souvent des enregistrements vidéos d’enseignants qui transmettent un savoir. Rien ne change parce que des contenus ouverts existent sur de nombreux sites. Rien ne change car la réussite du cours donne droit à une attestation ou un certificat.

    Et tout change, parce que l’internaute s’est inscrit par curiosité, et ne s’accrochera que si l’expérience fait sens pour lui. Parce qu’il pourra échanger avec ses pairs et s’appuyer sur une large communauté pour construire ses connaissances, et peut-être aller plus loin que ce qui était proposé au départ. Parce que moins d’un tiers des participants viennent pour cette validation. Parce que le contenu sera comparé à ses équivalents sur le web, tant sur le fond (une erreur dans un cours est vite détectée et peut ainsi être corrigée), que sur la forme. Pour les vidéos, les standard actuels sont donc la Khan Academy, pour sa concision, TED pour son ambiance et la passion, et les MOOC nord-américains…

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    Les premiers MOOC et l’informatique

    C’est par un cours d’informatique que l’acronyme MOOC a pris de l’importance. En octobre 2011, Sebastian Thrun et Peter Norvig annoncent que leur cours d’intelligence artificielle à Stanford sera ouvert à tous. En quelques semaines 160000 internautes se sont inscrits à ce cours. C’est le départ d’un mouvement qui a été rejoint par des millions d’apprenants sur les différents portails de MOOC à travers le monde. De même le premier MOOC de l’EPFL a été sur le langage Scala par son concepteur Martin Odersky.

    Sebastian Thrun a créé dans la foulée une startup Udacity, pour proposer des cours en ligne en partenariat avec des experts issus de l’industrie de la Silicon Valley. Autres acteurs de l’ouverture des cours, Andrew Ng et Daphne Koller ont eux aussi créé une plateforme Coursera qui accueille des centaines de cours de plus de cent universités différentes du monde entier, qui représentent la moitié de l’offre étiquetée MOOC à travers le monde — à savoir 637 cours de 108 institutions, en 13 langues différentes au moment de la rédaction de ce billet.

    Derrière ces créations, il y a une ambition, celle de diffuser les connaissances dans le monde entier, mais aussi un objectif, celui de mieux comprendre comment les gens apprennent, en développant l’analyse des données d’apprentissage avec des approches issues des big data et de l’apprentissage automatique. Ce domaine de recherche connaît ainsi un fort développement. Le CNRS, en partenariat avec l’Institut Mines-Télécom propose d’ailleurs une école thématique sur le sujet début juillet à destination des chercheurs en informatique.

    Trouver son MOOC

    Très rapidement, des enseignants de toutes les disciplines ont proposé des MOOC, de tous niveaux. Et le catalogue s’étoffe tous les jours, dans toutes les langues, et sur des plate-formes toujours plus nombreuses. Même si Coursera reste la plus impressionnante, de nombreuses alternatives existent : comme edX, qui est gérée par une fondation d’universités et d’autres partenaires, avec le MIT et Harvard en tête, comme Future Learn d’origine anglaise, qui nous propose des cours de haute facture et avec une approche très sociale, ou Iversity qui est la grande plate-forme privée européenne, qui a sélectionné ses premiers cours en organisant un concours où les internautes pouvaient choisir leur cours, sans oublier la plateforme FUN proposée par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le cadre de son agenda stratégique France Université Numérique qui accueille des MOOC de nombreux établissements français. On pourrait citer de nombreux autres acteurs nationaux, ou des outsiders qui cherchent à se positionner sur le créneau. Le portail MOOC list en dénombre plus de quarante à travers le monde.

    Quand une offre se diversifie, l’écosystème voit éclore des portails pour guider l’internaute dans ses choix. Outre MOOC list, citons Mooctivity qui offre des fonctionnalités sociales, et MOOC Francophone qui s’est spécialisé dans les cours en français. La communauté européenne propose également un tel point d’entrée en faisant la promotion de la production européenne au travers du site Open Education Europa.

    https://www.flickr.com/photos/92641139@N03/
    https://www.flickr.com/photos/92641139@N03/

    Apprendre en ligne

    Évidemment, le MOOC n’est pas la seule manière d’apprendre en ligne. Nombreux sont ceux qui ont pris l’habitude de travailler sur des ressources variées. Khan Academy vous propose de vous accompagner de votre première addition jusqu’à l’université. Les informaticiens vont chercher des réponses à leurs questions techniques sur des sites comme stackoverflow. Code Academy vous propose d’apprendre à programmer de manière interactive par vous-même. Les cours en ligne disponibles sur OpenClassrooms sont connus de tous les professionnels, étudiants et lycéens de France, pour l’informatique, mais aussi de plus en plus en sciences. De plus ces sites sont contributifs, chacun peut proposer du contenu qui sera reversé à la communauté, selon des modalités spécifiques.

    Un site comme OpenClassrooms a pourtant fait le choix de proposer des MOOC en plus de ses ressources, pour plus de dynamique et de visibilité. Si l’on parle si souvent de MOOC, c’est qu’ils constituent une réponse à ce besoin d’apprendre en ligne, proposés par le monde universitaire, portés par de grandes institutions, et donc bénéficiant de la réputation des universités. Les MOOC sont plébiscités car ils proposent un cadre connu, ce sont un cours, un événement avec un début, une fin, un objectif et surtout une équipe d’enseignants, qui donne un cadre à la communauté. C’est donc un accélérateur pour faire évoluer la formation vers le monde numérique.

    La forme n’est néanmoins pas figée. Les formes de MOOC sont variées et vont continuer d’évoluer.

    Le terme MOOC nous vient d’ailleurs d’un cours de 2008 sur une nouvelle manière d’apprendre en ligne, appelée connectivisme, qui soutient qu’apprendre à l’ère de l’abondance des ressources sur le Web est un processus de création basées sur son propre parcours construit sur des connexions entre des nœuds qui peuvent aussi bien être des ressources, des expériences, ou des personnes. L’apprentissage est alors un phénomène émergent. Cette vision de l’apprentissage est en phase avec les modèles de systèmes complexes et les phénomènes d’auto-organisation ou auto-apprentissage observés par des scientifiques de l’éducation comme Sugata Mitra.

    S’il est ainsi prouvé que de tels autres modes d’apprentissage sont possibles, nombre de MOOC cherchent à apporter leurs propres spécificités, qui l’évaluation entre pairs, qui l’utilisation du smartphone comme outil de mesure, qui l’organisation de rencontres dans des tiers lieux comme les fablabs… L’enjeu est bien ici de renouveler l’enseignement, chacun apportant sa pierre à l’édifice d’une connaissance ouverte.

    Créer son MOOC

    Chacun pourra en effet créer son propre cours. C’est la promesse que nous fait mooc.org, site porté par edX et Google, mais qui reste encore à réaliser. En attendant, choisissez votre thématique, cherchez ce qui existe déjà dans le domaine, identifiez votre public, mettez-vous à sa place, proposez-lui une expérience enrichissante comme le font tous les sites web. Vous pouvez vous inscrire au MOOC de votre choix pour voir comment les autres ont fait, au MOOC « Monter son MOOC de A à Z » sur FUN, à lire les retours d’expérience de ceux qui en ont suivi ou fait un sur mooc.fr, voire à y contribuer…

    Ensuite, c’est un travail d’enseignant connecté qui vous attend. Vous chercherez sans doute à constituer une équipe. Vous choisirez votre option d’hébergement. Vous préparerez en groupe votre cours, son déroulement, vous développerez ses ressources, dont sans doute des vidéos, au moins un teaser pour présenter votre sujet, des questions de compréhension, des exercices, des activités de groupe, des projets. Et le jour du démarrage du cours, vous serez là pour lancer un message de bienvenue, pour voir les premiers échanges, pour animer une séance de questions réponses, pour corriger les erreurs vite détectées par les participants, pour susciter les échanges, pour participer.

    Tous étudiants, tous professeurs

    À l’heure où le numérique permet une ouverture nouvelle dans l’accès à la formation, certains voient dans les MOOC l’annonce d’une standardisation des formations. C’est ignorer que le renouvellement des savoirs croit de manière exponentielle. La faute au web !

    La formation restera donc dynamique pour suivre les évolutions et contribuer à sa structuration. C’est bien en s’inscrivant dans cette dynamique qu’il faut imaginer l’apprentissage. Le MOOC constitue une réponse actuelle à ce besoin de formation, dans un environnement web qui nous a habitué à innover sans cesse, et à nous proposer d’être tous contributeurs. Tout comme dans l’industrie du cinéma, il y aura des grands studios, de nombreuses productions, du cinéma d’auteur, et de multiples productions plus ou moins amateur, parfois géniales, et un renouvellement incessant.

    L’homme est un animal social. L’appétence pour les échanges entre pairs montrent bien que l’on apprend en enseignant. Et pour rester pertinent en tant qu’enseignant, on n’arrête jamais d’apprendre, donc de contribuer.

    Jean-Marie Gilliot, Telecom Bretagne

  • Enseigner la programmation au lycée

    Le cours « Informatique et sciences du numérique » a été installé en Terminale S. Des profs se démènent pour l’enseigner et, au-delà, enseigner l’informatique au lycée. Aujourd’hui, binaire donne la parole à l’un d’entre eux, David Roche, qui enseigne les sciences physiques et l’informatique au lycée Guillaume Fichet de Bonneville (Haute-Savoie). David nous parle de son expérience passionnante qui s’appuie sur les technologies Web.

    « Je milite depuis plusieurs années (2009) pour l’enseignement de la programmation en lycée et plus généralement pour l’enseignement de la science informatique.

    Le but est multiple : susciter des vocations, montrer que la programmation est une activité enrichissante intellectuellement, montrer que la programmation peut permettre aux élèves d’exprimer leur potentiel créatif, et leur donner une « culture informatique » minimum. Le but n’est évidemment pas de former des informaticiens, mais « d’éduquer » le plus grand nombre possible d’élèves (et pas seulement les élèves suivant une filière scientifique).

    Pour rendre cet enseignement attractif, j’ai choisi de m’appuyer sur les « technos web ». J’ai rédigé tout un ensemble d’activités autour du trio HTML5, CSS3 et surtout JavaScript. C’est l’occasion d’apprendre aux élèves les bases de la programmation : variable, boucle, condition, fonction, etc. Les élèves travaillent de manière autonome, chacun à son rythme, sans avoir à « subir » de longs cours magistraux, même si je ne m’interdis pas, sur certains sujets délicats,  des « interventions collectives ».

    Une fois ces bases acquises, je propose aux élèves de seconde et de première des projets comme la création de jeu 2D avec EaselJS, d’application web avec jQuery, nodeJS et mongoDB, d’application pour smartphone sous Firefox OS, ou de jeu 3D avec BabylonJS. photo_GFichet image_GFichet Ici aussi, j’ai rédigé des activités permettant aux élèves de progresser à leur rythme. Les élèves qui auront, par exemple, choisi de s’initier à la création de jeu vidéo devront s’interroger sur différents aspects : Comment afficher une image (sprite) ? Comment déplacer ce sprite à l’écran ? Une fois ce problème de déplacement résolu, il faudra s’intéresser au moyen d’éviter que le sprite « sorte » de l’écran. Comment gérer le clavier et la souris ?… Une fois toutes ces bases acquises, les élèves pourront se lancer dans la création de leur propre jeu vidéo : en écrivant un scénario, en mettant en place un cahier des charges… L’enseignant est, une fois de plus, présent uniquement pour guider les élèves et les aider en cas de difficulté, pas pour les « abreuver » de grands discours théoriques.

    Ces activités peuvent aussi amener les élèves à étudier certains aspects de la science informatique. En effet, comment créer une application web sans s’intéresser à la notion de client-serveur ? Sans comprendre ce qu’est une requête HTTP ? Sans tout simplement avoir des bases en matière de réseau ? Cette approche par activité et par projet fonctionne bien.

    Tout le matériel pour mes cours est disponible, sous Creative Commons, sur mon site web. Dans le même temps, mon collègue Nicolas Bechet travaille avec les mêmes élèves sur la programmation du microcontrôleur Arduino Uno, ce qui permet d’aborder les notions de capteur et de traitement de l’information. Ici aussi, la mise en activité des élèves ainsi que la pédagogie de projet sont des priorités. Ce que je décris ici est une initiative locale. Mais son succès nous encourage à vouloir la généraliser à d’autres lycées. Elle pourrait aussi servir de base pour enrichir des sites web d’enseignement de l’informatique.

    La demande de formation à l’informatique — et notamment à la programmation — est énorme bien au-delà de seulement les enfants ou les adolescents : lors de la dernière journée « portes ouvertes » du lycée, de nombreux parents nous ont demandé si nous n’envisagions pas de créer des cours du soir pour adultes ! Une telle formation peut permettre de trouver un emploi, de mieux se réaliser professionnellement, ou juste personnellement.

    Si vous voulez me rejoindre pour participer à ce mouvement, toute collaboration serait, bien sûr, la bienvenue… »

    David Roche, enseignant

    Pour en savoir plus :