A partir du 6 avril, Class’Code lance une formation gratuite en ligne pour permettre à toutes et tous de comprendre les enjeux de l’intelligence artificielle en fournissant aux apprenants des repères simples et actuels, sous la forme de parcours élaborés par des experts en sciences informatiques. Grâce à des contenus ludiques et variés, le MOOC permet à chacun·e de décrypter les discours sur l’intelligence artificielle, d’expérimenter, de comprendre comment cette avancée technologique s’inscrit dans l’histoire des humains et de leurs idées, et offre plus largement les moyens de s’approprier le sujet.
Nous vivons au temps des algorithmes et de plus en plus de tâches cognitives dites “intelligentes” tant qu’elle sont exécutées par un humain sont aujourd’hui mécanisées et exécutées par des machines. Tous les aspects de la société – économiques, sociétaux, culturels – sont profondément impactés par les avancées informatiques et cette situation prend une tournure nouvelle avec l’arrivée de ce qui est désigné sous le terme d’intelligence artificielle.
L’IA, au-delà des idées reçues
Employée par tous désormais, la notion d’“intelligence artificielle” nécessite pourtant d’être expliquée et comprise afin de pouvoir s’en emparer et de prendre le recul nécessaire face aux idées reçues qui sont nombreuses. Tout en rappelant que l’intelligence artificielle doit être au service de l’humain, le nouveau Mooc de Class’Code décrypte par étapes les enjeux et les leviers technologiques liés à l’IA. La formation s’attache à présenter les principes de l’apprentissage machine (machine learning) et définit des mots techniques comme l’apprentissage profond (deep learning), ainsi que la place cruciale de la maîtrise des jeux de données. Il s’agit par l’intermédiaire d’un cours interactif de partager une culture minimale sur le sujet, afin de choisir librement et de maîtriser l’usage de ces technologies.
Une mini-formation citoyenne qui démystifie sans simplifier
Si l’objectif de la formation est bien de toucher un public large non néophyte par des biais ludiques, des vidéos et des activités, l’équipe d’experts* ayant élaboré les cours met avant tout l’accent sur des savoirs rigoureux permettant à l’apprenant.e de se forger une vision correcte et opérationnelle sur l’IA et ses enjeux.
Disponible sur la plateforme FUN MOOC, co-réalisée par Inria Learning-Lab, la formation Class’Code IAI hébergée par Inria est ouverte à tous dès le 6 avril.
À propos de Class’Code
Class’Code, projet initialement créé en 2014 dans le cadre du PIA, est une association d’utilité publique qui a pour ambition de répondre au besoin de formation et d’accompagnement de la population en matière d’éducation à la pensée informatique dans un contexte où la France affiche un certain retard face au enjeux numériques. Class’Code regroupe des acteurs privés et publics, et coordonne des actions destinées au grand public sur tout le territoire tout en produisant des ressources innovantes accessibles à tous, en ligne et gratuitement.
A propos d’Inria
Inria est l’institut national de recherche en sciences et technologies du numérique. La recherche de rang mondial et l’innovation technologique constituent son ADN, avec pour ambition de faire émerger et d’accompagner des projets scientifiques et entrepreneuriaux créateurs de valeur pour la France dans la dynamique européenne.
Gérard Giraudon est un chercheur, spécialiste de vision par ordinateur, ancien Directeur d’Inria Sophia-Antipolis, en charge des questions d’« Education et Numérique » à Inria. Il est entre autres le coordinateur du projet « 1 Scientifique 1 Classe : chiche ! », dont binaire est fan. Il reconsidère pour binaire le schisme mis en évidence par Gilbert Simondon entre Culture et Technique pour ce qui concerne l’informatique. Serge Abiteboul, Thierry Viéville
Gibert Simondon (1924-1989) est l’un des premiers philosophes français à développer une philosophie de la technique (« Du mode d’existence des objets techniques », thèse publiée en 1958). Pour lui, la réalité technique fait partie intégrante de la réalité humaine. La réalité technique ne s’oppose pas à la culture humaine et au contraire y participe entièrement par l’apport de la valeur culturelle des objets techniques. Il démontre que la réalité technique par les outils qu’elle génère transforme la société humaine dans laquelle elle est conçue et donc transforme sa culture1.
De quelles transformations parle-t-on ?
Chaque transformation nait d’une maitrise technique et on peut illustrer cette assertion avec trois grandes révolutions. La première a commencé avec la maitrise technique de fabrication des pierres taillées2 . Puis ce fut le tour de la révolution agricole avec la maitrise technique de la domestication des animaux et l’invention de l’agriculture qui a provoqué la sédentarisation et a regroupé les communautés humaines en centre « urbain » avec toutes les conséquences sur l’organisation et le contrôle de la vie communautaire. C’est enfin, la maitrise de l’énergie avec l’essor de la machine à vapeur qui a donné naissance à la révolution industrielle – qui s’accélère avec l’usage des énergies fossiles (charbon, pétrole) puis de l’atome avec la maitrise de l’électricité « énergie universelle ».
Et nous sommes en train de vivre une transformation provoquée par la maitrise technique de l’information autrement dit l’informatique qui a enclenché la quatrième révolution celle de la société « numérique ». Gilbert Simondon n’a pas vraiment connu cette révolution mais il l’a pressentie et il fondait de grands espoirs sur la cybernétique naissante et nous y reviendrons plus loin.
Outil et instrument
Gilbert Simondon propose une distinction entre outil et instrument suivant des différences relatives au corps. L’outil est un objet technique qui permet de prolonger ou armer le corps pour accomplir un geste. L’outil est alors un amplificateur du corps, de sa force musculaire et in fine de l’énergie utilisée (on peut relier ces outils à la puissance dissipée en watt). L’instrument est un objet technique qui permet de prolonger et d’adapter le corps pour obtenir une meilleure perception. L’instrument est alors est alors un amplificateur de la perception … Lunette, microscope, télescope, sextant, sonars, etc. sont des instruments. Les instruments servent à recueillir des informations sur le monde sans accomplir une action préalable.
A ce stade, la question qu’on peut se poser est sachant qu’un programme informatique est une œuvre de l’esprit et que sa mise en œuvre est une technique qui engendre un « outil », quel serait le nom à donner à ce qui permet de prolonger la pensée et adapter le cerveau et/ou le corps et/ou la perception pour obtenir une meilleure « intelligence » ? … on peut l’appeler logiciel !
L’œuvre de Gilbert Simondon est centrée sur le fait que la technique est un fait culturel et donc que la technique est totalement intégrée dans la culture. À ce titre, la pensée technique doit être enseignée à toutes et à tous. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Gilbert Simondon et d’autres après lui, comme Bernard Stiegler2, considèrent que ce schisme prend sa source dans la pensée philosophique grecque. Il défend le fait que l’existence d’un objet technique est une expression culturelle car sa création procède d’un schéma mental. Il conclut que la technique doit être incorporée dans la culture afin que celle-ci rende compte de l’acte humain que constitue la conception des objets techniques : cela implique de considérer non seulement leur usage, mais aussi et surtout leur genèse. On peut en conclure que puisque l’éducation scolaire a pour objectif de donner à chacun les apprentissages qui lui seront nécessaire en tant qu’adulte et donc structurer le socle de la vie sociale et culturelle du pays, il est primordial de fournir à tous les élèves les schémas mentaux de la conception des objets techniques.
Gilbert Simondon insiste sur le fait que plus l’objet technique est perçu comme une boite noire d’entrées et de sorties, et plus l’homme qui l’utilise lui est aliéné. Ce qui est magnifiquement illustré par le fait que la plupart de nos concitoyens, ne voyant dans l’intelligence artificielle qu’une boite noire, craignent naturellement d’y être asservis !
Mais le paradoxe est qu’à l’heure où la société fantasme sur l’asservissement de l’homme par l’intelligence artificielle, G. Simondon pensait que « la cybernétique libère l’homme de la fermeture contraignante de l’organisation en le rendant capable de juger cette organisation au lieu de la subir en la vénérant et en la respectant parce qu’il n’est pas capable de la penser ou de la constituer » tout en argumentant que toute libération acquise par une augmentation des savoirs porte en son sein une prochaine aliénation par les « êtres techniques » si la culture ne s’en empare pas. Sa « prophétie » semble se vérifier pour la « cybernétique » pour laquelle cependant il fondait pourtant de grands espoirs.
De l’enseignement de l’informatique
Certains visionnaires ont perçu dès le début des années 70 que l’informatique était stratégique. A titre d’illustration, on peut rappeler qu’alors que la création d’Iria, se décidait dans le cadre du plan calcul pour une souveraineté nationale (1967), un séminaire du CERI3 consacré à « l’enseignement de l’informatique à l’école secondaire » concluait sur l’importance de l’apport de l’informatique à l’enseignement général. La conclusion est d’autant plus d’actualité car la révolution numérique est en marche et le « logiciel dévore le monde ». Aucun secteur de la recherche (biologie, physique, astronomie et sociologie, etc.), de l’industrie (conception, fabrication, etc.), des services et du commerce, du transport, de l’hôtellerie, de l’agriculture, de la culture et même de la guerre (cyberdéfense, etc.) n’échappe à l’impact du numérique. Le numérique a permis d’incontestables progrès par exemple dans le domaine de la santé, avec l’imagerie médicale et le traitement massif de données4, mais a aussi créé de nouveaux risques pour les biens et les personnes comme la cybercriminalité ou la manipulation d’opinion.
Mais que peut-on dire de l’impact du numérique pour l’éducation et la formation depuis la conclusion du séminaire du CERI ? Quel est le modèle « disruptif » qui changera la donne ? En 1985, la France a été ambitieuse (« Plan informatique pour tous »5) et certains, 30 ans plus tard, ont cru qu’il suffisait de mettre des tablettes dans les écoles alors que l’on sait que cela ne répond pas à la question. Plus grave, plus d’une génération plus tard, ce choix politique dénote une totale méconnaissance des enjeux de formation à la pensée informatique et à la culture sous-jacente6. En effet, une fois de plus pour un grand nombre de décideurs mais aussi pour un grand nombre de nos concitoyens, l’informatique se réduit à un outil incarné dans un objet d’interface et mélange la formation à l’informatique (la pensée informatique) avec la formation en utilisant l’outil informatique.
Bien sûr on ne peut que se féliciter de changements récents qui introduisent l’enseignement de l’informatique au collège et au lycée et de l’initiative PIX7 pour permettre à chacun de s’évaluer. Mais certains annoncent « dans le passage de l’informatique au numérique, c’est l’introduction d’une dimension culturelle, sociale et éthique qui est en jeu, dans une perspective non plus techniciste mais historique et citoyenne8». Par là même, ils affirment que l’important n’est pas de comprendre l’informatique (vision techniciste) mais de comprendre et étudier les usages de la technique (vision humaniste).
Nous pensons que cette reproduction du schisme évoqué plus haut est une immense erreur. Comme l’écrivait Simondon, l’éducation est vecteur d’apprentissage de la culture et « le Savoir n’est pas savoir ce qui se passe d’un point de vue technique mais le comprendre .. savoir n’est pas lire Châteaubriant parlant de Pascal mais de refaire de ses mains une machine telle la sienne et si possible la ré-inventer au lieu de la reproduire en utilisant les schèmes intellectuels et opératoires qui ont été utilisés par B. Pascal ». De la même manière qu’un livre n’apporte rien à un analphabète, l’informatique ne rend pas autonome celui ou celle que ne la comprend pas, et réduit son usager à un statut de consommateur et, in fine, ne permet pas au citoyen d’élaborer une pensée critique ni pour lui-même ni pour son usage.
Le problème est que l’urgence actuelle due à la révolution numérique a multiplié les besoins de formation. De plus, le manque d’enseignants maitrisant la pédagogie de l’informatique nous fait rentrer dans un cercle vicieux puisque moins il y a de professeurs et moins il y en aura par rapport à une demande en croissance exponentielle. Devant le « mur » qui est devant nous, de nombreuses initiatives se sont mises en place pour le contourner ou pallier le manque de compétences comme Class’Code.
L’informatique est à la fois une science, une technologie, une industrie et maintenant une culture par l’impact et la transformation qu’elle a sur la société. C’est sous l’ensemble de ces facettes qu’elle doit être appréhendée permettant à chacun et à chacune d’avoir les clés d’entrée pour ne pas y être aliéné.e. Et le rappel de ce billet sur l’œuvre de Gilbert Simondon a pour objectif de faire comprendre que tant que l’informatique et les sciences du numérique ne seront pas vues comme un fait culturel plein et entier dans la société française du XXIème siècle, il sera toujours compliqué de réussir pleinement cet enseignement. La mère des batailles est donc bien un enjeu culturel.
Gérard Giraudon, chercheur et conseiller du Président Inria.
Pour en savoir plus :
Gérard Berry : « L’hyperpuissance de l’informatique », Odile Jacobs, ISBN 2738139531, octobre 2017.
Gilbert Simondon : « Du mode d’existence des objets techniques », collection – Analyse et Raisons Aubier éditions Montaigne, 1958 ; à noter qu’il y a eu 3 autres éditions augmentées aux éditions Aubier (1969, 1989, 2012).
1 Sans faire référence aux débats « main-intelligence » d’Aristore-Anaxagore, on peut également faire le rapprochement avec les travaux de François Jouen (Cognition Humaine et Artificielle (CHArt)) pour qui la technologie elle-même a toujours fait évoluer la cognition et cette relation symbiotique façonne nos capacités cérébrales. On peut aussi lire les travaux associés des liens entre technique et nature humaine ou condition humaine. 2 La technicité participe originairement à la constitution de l’homme (l’hominisation) : Bernard Stiegler. 3 Centre d’études et de recherches pour l’innovation dans l’enseignement de l’OCDE créé en 1968. 4 Et l’actualité nous montre son intérêt majeur pour lutter contre l’épidémie du Covid-19. 5 Voir l’excellent article de J-P d’Archambault: https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0509a.htm. 6 Une étude de 2012 montre que le problème est malheureusement partagé dans les pays de l’OCDE (http://www.oecd.org/fr/education/scolaire/Connectes-pour-apprendre-les-eleves-et-les-nouvelles-technologies-principaux-resultats.pdf). 7 https://pix.fr/enseignement-scolaire/. 8 HERMÈS, LA REVUE 2017/2 (n° 78) « Les élèves, entre cahiers et claviers » https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2017-2.htm
L’utilisation des données des téléphones mobiles est envisagée pour le suivi numérique de la population, notamment à la fin du confinement. Il est indispensable qu’une telle surveillance soit réalisée en respectant la vie privée. Mais déjà pendant le confinement, on peut observer ses effets grâce aux données agrégées de localisation des milliers de smartphones. En France comme en Europe, les autorités utilisent cette « carte du confinement », mais le public n’y a pas accès. Pourtant avoir une information précise selon les villes, en temps réel, cela nous intéresserait tous ! Elle est disponible dans d’autres pays, comme nous explique Alexei Grinbaum. Pierre Paradinas
Utiliser les données des applications qui tournent en permanence sur nos smartphones pour évaluer le respect du confinement ? Testée aux États-Unis, cette idée a été mise en œuvre en Russie par Yandex, le principal moteur de recherche et un des géants de l’internet russophone. Chacun peut désormais accéder librement à une carte interactive, sur laquelle plusieurs dizaines de villes russes, biélorusses, kazakhs et arméniennes, grandes ou moyennes, se voient attribuer une indice, allant de 0 à 5, qui décrit le degré des déplacements de ses habitants. La valeur 0 correspond à une situation habituelle en temps normal, estimée à partir des données agrégées pendant la première semaine de mars ; et 5, la situation nocturne où quasiment toute la population se trouve chez elle. La carte se met à jour très régulièrement.
Le 30 mars à midi, par exemple, la situation à Moscou était de 3.0, avant de progresser légèrement à 3.1 à 17h. On peut aussi évaluer le respect du confinement par ville selon trois codes couleur (https://yandex.ru/company/researches/2020/podomam), rouge, jaune et vert. Encore la semaine dernière, toute la Russie se trouvait dans le rouge chaque jour ouvrable, de lundi à vendredi. Mais ce lundi 30 mars, plus aucune ville n’était marquée en rouge ; quasiment toutes sont devenues jaunes, une couleur que Yandex fait accompagner de cette légende incitative : « La majorité des gens sont chez eux. Restez-y, vous aussi ».
Lorsque les médias russes parlent de cette carte – et ils le font tous –, s’installe dans l’ensemble du pays une sorte de compétition entre différentes villes : qui respecte mieux le confinement ? Qui se protège mieux que les autres ? Quelle population est plus disciplinée ? Une mesure « douce », non coercitive, mais sera-t-elle efficace ? Pour répondre, il faudra sans doute suivre la dynamique du confinement sur plusieurs jours, voire des semaines.
Et en France ? Des données de géolocalisation agrégées ne sont disponibles qu’aux propriétaires des applications que nous utilisons le plus souvent, lesquels s’appellent Google, Apple…, et aux fournisseurs d’accès internet. Orange, par exemple, partage de telles données avec l’Inserm et la Commission Européenne. Le public n’y a pas accès et ne dispose, en temps réel, que des informations concernant d’autres pays, la Russie notamment. Cependant, ces données françaises pourraient être publiées en protégeant totalement la vie privée et supprimant tous les éléments personnels, sans compromettre leur valeur statistique.
Alexei Grinbaum, philosophe de la physique, chercheur au LARSIM/CEA.
Ces temps difficiles donnent à certains d’entre nous le temps de lire et de réfléchir. Quelle occasion de regarder dans le rétroviseur le passé de l’informatique et du numérique, de s’interroger sur un patrimoine qu’ont construit des pionniers et qui reste encore largement à explorer ! C’est ce que propose le numéro 73 de la Revue Patrimoine Industriel du Cilac. Exceptionnellement, compte tenu du confinement de tous, le Cilac a décidé de mettre ce numéro, réalisé avec la SIF et Software Heritage, en accès ouvert dès sa parution. C’est un magnifique numéro collector inédit que je vous encourage aussi à acheter en format papier : pour 25 €. À déguster sans modération ! Serge Abiteboul
Déclaration de conflit d’intérêt : je suis membre du Cilac et de la SIF.
Avec ce numéro thématique de la revue que nous avons réalisé avec le soutien de Software Heritage et en collaboration avec la Société informatique de France (SIF), le CILAC s’aventure en des territoires patrimoniaux nouveaux, relativement peu explorés et cartographiés.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’informatique – la science et les technologies du traitement automatique de l’information par des algorithmes – s’est développée de manière exponentielle, bouleversant tous les domaines scientifiques, financiers, industriels et commerciaux et s’embarquant dans les appareils globalisés de notre vie domestique.
Voici rassemblés les premiers jalons d’un nécessaire regard patrimonial sur l’informatique : c’est aussi l’ouverture d’un chantier avec des suggestions de pistes à explorer. En partageant plus largement ce dossier des patrimoines de l’informatique, nous espérons qu’il fera date.
Dans cette période difficile pour tout le monde, nous avons décidé d’intensifier la fréquence de nos publications et d’étendre le format habituel. Pour tenir cet objectif, nous avons donc (re)sollicité hier tou.te.s nos auteur.e.s depuis la création de binaire. Françoise Berthoud a été une des premières à répondre à notre invitation et nous sommes très heureux d’inaugurer avec elle une série de billets d’humeur. Pascal Guitton
Francoise Berthoud
Autres urgences, vitales
Confinement
Solitude
Dérèglement climatique, ouragans, sécheresses, destruction de plantations par des criquets, pollutions, propagation accélérée de virus, … Chaque année après l’autre, chaque mois, chaque jour après l’autre
Des petits bouts d’effondrement
Comment le numérique survivra-t-il ? Comment le numérique nous aidera-t-il ?
A l’heure où il permet de se donner l’illusion que la vie continue, que des bouts d’économie pourraient survivre au confinement, que les hommes pourraient vivre ainsi, communiquant par skype et autres systèmes de visio
Et pourtant,
Des Hommes au Ghana, à cette même heure poursuivent leur travail de tri, de démantèlement, de brulage de nos déchets électroniques et se tuent à petit feu,
Des hommes en République Démocratique du Congo, en Amérique du Sud continuent à lutter pour leurs ressources, parfois leur vie juste pour avoir quelque chose à se mettre sous la dent ou juste pour boire de l’eau saine, pour extraire ces précieux métaux sans quoi nos ordinateurs ne seraient pas aussi performants,
Ils ne sont pas confinés,
Comme les soignants, les livreurs, les caissiers, les plombiers, les chauffeurs de poids lourds, etc., ils paraissent indispensables à notre économie. Mais point d’applaudissements pour eux, pas de primes, pas de discours de président pour les féliciter. Ces hommes, ces femmes, ces adolescents, ces enfants méritent pourtant tout autant notre attention, parce que sans eux …
Point de smartphone, point de réseaux, point de visio, ni de netflix, pas d’apéritif whatsapp …
Apprenons au moins de cette expérience que le numérique est un outil précieux, qu’il convient de ne pas gaspiller, qu’il convient d’utiliser ces outils avec parcimonie, qu’il convient de les partager, qu’il convient de réfléchir à leur juste usage pour stopper les dégâts environnementaux qu’ils génèrent tout en les partageant avec le plus grand nombre.
La Commission européenne a publié le 11 mars 2020 un nouveau plan d’action contre le gaspillage dans l’UE de ressources naturelles. Il s’agit d’arriver à une limitation drastique des quantités de déchets (500 kilos par européen en 2017) et d’emballages (173 kilos). Sont visés en premier lieu, les appareils électroniques dont la fabrication est la cause d’un gaspillage d’énergie et de matières premières. Il est insensé d’avoir à changer si souvent son smartphone quand on pourrait utiliser des pièces remplaçables et réparables. Selon la Commission : « A l’heure actuelle, l’économie est encore essentiellement linéaire, puisque 12% seulement des matières et des ressources secondaires y sont réintroduites ». La Commission travaille sur des dispositions qui limiteront les usages uniques, permettront de lutter contre l’obsolescence prématurée et interdiront la destruction des marchandises durables invendues ». L’association « Les Amis de la Terre » salue cette avancée en regrettant l’absence d’objectifs chiffrés.
Fleur de tournesol éternelle, Everlasting
Parmi ces ressources gaspillées, il faut aussi s’intéresser aux fleurs dont la présence est essentielle à la survie des abeilles dont la disparition menacerait l’ensemble de la végétation. Le conseiller allemand, Dr. Seltsam, a donc annoncé qu’il était envisagé d’interdire la vente de fleurs à usage unique. Cela a fait flamber le cours d’une startup d’Indianola, Sunflower County, qui a mis au point une fleur de tournesol qui ne flétrit jamais. Everlasting propose déjà plusieurs variétés d’Ikébana à base de ces fleurs. Si le coût de la fleur peut donner à réfléchir (9.99 dollars), elles permettent de fleurir son appartement en permanence sans avoir à passer par le fleuriste. Contredisant le Grand Jacques, on pourra bientôt amener à son ou sa chérie des fleurs plutôt que des bonbons parce qu’elles seront moins périssables.
Je vous ai apporté des bonbons… Parce que les fleurs c’est périssable. Jacques Brel
La technique mise au point par Everlasting consiste à bloquer le processus de vieillissement de la fleur, ou plus précisément à introduire un gène correcteur de ce vieillissement. Un effet secondaire de la modification génétique est le blocage du mécanisme de pollinisation.
Le Dr. Seltsam a dit suivre les développements de cette technologie avec intérêt. Il envisagerait même de doter chaque citoyen d’un quota de fleurs que lui, ses parents ou ses descendants pourraient utiliser de la naissance à la mort, voire même se transmettre via les héritages.
Les fleurs en tissus (voir le tutorial), les couronnes de fleurs séchées, les fleurs en pots de terre cuite, la quête d’ornements floraux non périssables ne datent pas d’hier. On pourrait ajouter qu’une fleur est déjà éternelle, la « Petite fleur » de Sydney Bechet, à réécouter absolument.
Sidney Bechet : Petite Fleur CD (2006) – Intense, Oldies
On peut s’inquiéter de possibles effets délétères de fleurs génétiquement modifiées, et souligner que cela ne règlera pas l’extrême gravité de la dégradation de la biodiversité et de la disparition massive d’espèces de fleurs. Maintenir la biodiversité en la manipulant génétiquement ? Au secours ! L’application numérique Plant@net de sciences participatives aide à identifier des plantes à partir de photos. Pourrait-elle permettre de mettre en place un plan massif de sauvegarde des espèces de fleurs menacées ?
Poisson combattant, Aquaportail
La manipulation génétique pour vaincre la mort est un domaine de recherche actif, y compris pour les humains. Mais voulons-nous devenir immortels ? A plus court terme, Everlasting travaille sur des poissons d’aquarium qui vivraient éternellement. Ils expérimentent sur le Combattant à la « queue-de-voile » qui arrive déjà à vivre jusqu’à deux ou trois ans en aquarium. Madame Dagotte, la pédégère d’Everlasting, a déclaré : « Une difficulté pour notre recherche est que les tests prennent très longtemps ; nous expérimentons aussi des techniques d’accélération de la vie biologique pour vérifier la résistance de nos produits. » Allez comprendre les scientifiques !
Une biologiste d’Everlasting amène son poisson Combattant en balade. Serge A.